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suicide. L’idée ne l’en effleura jamais. Il perdit seulement l’appétit, et la difficulté qu’il éprouvait à exprimer son accablement (les plus furieux jurons n’y réussissaient pas) le réduisit au silence, sorte de mort pour un tempérament méridional.

Grande fut donc la sensation parmi les anciens militaires, habitués d’un petit café infesté de mouches, quand par un lourd après-midi, « ce pauvre général Féraud » lâcha tout à coup une bordée de jurons formidables.

Tranquillement assis dans un coin privilégié, il parcourait les gazettes de Paris, avec l’intérêt qu’un condamné pourrait apporter, la veille de son exécution, aux nouvelles du jour. Un groupe de figures bronzées et martiales, dont l’une n’avait qu’un œil et une autre montrait un nez à demi gelé en Russie, l’entourèrent avec sollicitude :

— Qu’y a-t-il, général ?

Très droit, le général Féraud tenait la feuille pliée à bout de bras, pour en mieux distinguer les petits caractères. Il lut et relut la nouvelle qui avait déterminé ce que l’on pourrait appeler sa résurrection.

— Nous apprenons que le général d’Hubert, actuellement en congé de convalescence dans le Midi, va être appelé au commandement de la 5e brigade de cavalerie, à...

Il laissa tomber le journal, avec accablement... « Appelé au commandement... » puis se frappant violemment le front :

— Je l’avais presque oublié ! grommela-t-il avec remords.

Un vétéran à la large poitrine cria à travers le café :

— Encore une nouvelle infamie du Gouvernement, mon général ?

— Les infamies de ces coquins ne se comptent plus, tonna Féraud. Une de plus ou de moins... Il baissa la