se rendre sans délai dans une petite ville du centre de la France. Il donna libre cours à ses sentiments, avec roulements d’yeux furieux et sauvages grincements de dents. La cessation de l’état de guerre, seule condition d’existence qu’il eût encore connue, et l’affreuse perspective d’un monde en paix l’épouvantaient. Il gagna sa petite ville avec la conviction arrêtée qu’un tel état de choses ne pouvait durer. Il apprit, en arrivant dans sa nouvelle résidence, sa radiation des cadres de l’armée, et que l’octroi de sa pension (calculée sur l’échelle du grade de colonel) dépendrait de la correction de sa conduite et des rapports favorables de la police. Ne plus faire partie de l’armée ! Il se sentait singulièrement étranger à la terre, comme un esprit désincarné. Impossible de vivre dans de telles conditions. Pour commencer, il réagit par pure incrédulité. Cela ne pouvait pas être ! Il attendait tonnerre, tremblements de terre et cataclysmes naturels, et ne vit rien venir. Le manteau de plomb d’une irrémédiable oisiveté tomba sur le général Féraud, qui, ne trouvant en lui aucune ressource, sombra dans un état d’hébétude terrifiante. Il parcourait les rues de la petite ville, en fixant devant lui des yeux sans éclat, et ne voyait pas les chapeaux levés sur son passage ; les gens se poussaient du coude et chuchotaient :
— Regardez le pauvre général Féraud. Il a le cœur brisé. Voyez comme il aimait l’Empereur.
Les autres ruines de la tempête napoléonienne se groupaient avec un respect infini autour du général Féraud. Il se croyait lui-même le cœur broyé par le chagrin. Il éprouvait, en succession rapide, des besoins de pleurer, de hurler, de se mordre les poings jusqu’au sang, de passer des journées entières sur son lit, la tête sous l’oreiller. A vrai dire, cela n’était que de l’ennui, l’angoisse d’une immense, d’une indescriptible, d’une inconcevable nostalgie. Son incapacité à comprendre la nature désespérée et définitive de son mal le sauva du