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— Je ne discuterai pas avec vous. Je ne sais à peu près rien de lui. C’est à peine si je connais son nom.

— Pourtant, Votre Excellence doit présider la Commission chargée par le Roi de désigner les inculpés, fit d’Hubert avec une emphase qui n’échappa pas aux oreilles du ministre.

— Oui, général, fit-il, en se dirigeant vers la partie sombre de la vaste pièce, et en se jetant dans un grand fauteuil qui l’enfouit tout entier, et ne laissa voir que la lueur douce des broderies d’or et la tache pâle de son visage. Oui, général. Asseyez-vous là.

Le général d’Hubert s’assit.

— Oui, général, reprit le maître dans l’art de l’intrigue et des trahisons, dont la duplicité, comme si elle lui fût par moments devenue intolérable, se soulageait par des explosions de cynique franchise. J’ai hâté la formation de ce Tribunal, en en prenant la présidence. Et savez-vous pourquoi ? Uniquement par crainte, si je ne la prenais pas tout de suite en mains, de trouver mon propre nom en tête de la liste. Voilà les temps où nous vivons. Mais je suis encore ministre du Roi, et je vous demande franchement pourquoi vous souhaitez de me voir rayer de la liste le nom de cet obscur Féraud ? Vous vous étonnez qu’il y ait été inscrit. Est-il possible que vous connaissiez si mal les hommes ? Mon cher général, à la première séance de la Commission, les noms sont tombés sur nous comme la pluie sur le toit des Tuileries. Des noms ! Nous en avions des milliers au choix ! Comment savez-vous si le nom de ce Féraud, dont la vie ou la mort importent si peu à la France, n’en écarte pas un autre ?

La voix se tut. D’Hubert restait immobile, sombre et silencieux. Son sabre seul était animé d’un léger tremblement. La voix reprit, du fauteuil :

— Et nous devons nous efforcer de satisfaire aux exigences des souverains alliés, encore. Pas plus tard