Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/235

Cette page n’a pas encore été corrigée

Vexé de se voir ainsi trahi par la balourdise d’un domestique, il surmonta sa petite gêne avec l’impudence caractéristique qui l’avait toujours si bien servi dans les intrigues sans fin de son ambitieuse carrière. Sans bouger d’un pouce, avançant une jambe gainée de soie et la tête légèrement tournée sur l’épaule gauche, il dit d’un ton calme :

— Par ici, général. Voulez-vous approcher. Eh bien ? Je suis tout attention.

Tandis que d’Hubert, mal à l’aise comme s’il eût exposé une de ses petites faiblesses, présentait aussi brièvement que possible sa requête, le duc d’Otrante continuait à examiner le tour de son col, à lisser ses revers, à tourner la tête pour jeter un coup d’œil sur les basques brodées d’or de son frac. Son visage immobile, ses yeux attentifs n’auraient pas exprimé un intérêt plus marqué s’il avait été seul.

— Soustraire aux opérations de la Commission spéciale un certain Féraud, Gabriel-Florian, général de brigade de la promotion 1814 ? répéta-t-il avec un léger accent de surprise. Puis tournant le dos au miroir : Et pourquoi celui-là précisément ?

— Je suis surpris que Votre Excellence, si compétente dans l’évaluation des hommes de son temps, ait jugé nécessaire de porter son nom sur la liste.

— Un Bonapartiste enragé !

Comme le dernier grenadier et le dernier troupier de l’armée, ainsi que le sait Votre Excellence. Et l’individualité du général Féraud ne peut avoir plus de poids que celle d’un grenadier quelconque. C’est un homme sans portée mentale, sans aucune capacité. Il est inconcevable qu’il ait jamais pu avoir la moindre influence.

— Il a la langue bien pendue, au moins, déclara Fouché.

— Il est bavard, je le concède, mais pas dangereux.