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où, luttant en avant du bataillon contre une harcelante attaque de cavalerie, ils se trouvèrent traqués dans un bois par une petite bande de Cosaques. Une vingtaine de cavaliers velus et couverts de fourrures tournaient autour d’eux et brandissaient leurs lances dans un silence impressionnant ; mais les deux officiers n’entendaient pas poser les armes, et le colonel Féraud éleva tout à coup une voix rauque et grondante en épaulant son fusil :

— Chargez-vous du premier de ces crétins-là, colonel d’Hubert ; je réglerai l’affaire de son voisin ; je tire mieux que vous.

D’Hubert acquiesça par-dessus son fusil. Leurs épaules s’appuyaient au tronc d’un gros arbre ; d’énormes tas de neige les protégeaient contre une attaque de front. Deux coups bien dirigés déchirèrent l’air glacé, et deux Cosaques chancelèrent sur leurs selles. Les autres, jugeant que le jeu ne valait pas la chandelle, se groupèrent autour de leurs camarades blessés, et s’enfuirent hors de portée. Les deux officiers purent rejoindre leur bataillon au bivouac nocturne. Pendant l’après-midi, ils s’étaient plus d’une fois appuyés l’un sur l’autre, et vers le soir, le colonel d’Hubert, dont les longues jambes facilitaient la marche dans la neige molle, avait, d’autorité, pris à Féraud son fusil pour le porter sur l’épaule, tandis qu’il se servait du sien en guise de canne.

Aux confins, d’un village à demi enfoui sous la neige, une vieille grange de bois brûlait avec une flamme claire. Le bataillon sacré de squelettes vêtus de haillons se pressait ardemment à l’abri du vent et tendait vers la flamme des centaines de mains gourdes et osseuses. Personne n’avait remarqué l’arrivée des deux officiers. Avant d’entrer dans le cercle de lumière qui jouait sur les visages hâves et les yeux vitreux, le colonel d’Hubert parla à son tour :