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trou où ils étaient enfermés, comme une bouffée montée de l’enfer. Les prisonniers les plus rapprochés de la fenêtre, témoins de ma déconvenue, se moquaient de moi avec désespoir ; un des misérables, devenu fou sans doute, me suppliait avec volubilité de donner aux soldats l’ordre de tirer par la fenêtre. Sa loquacité démente me faisait tourner le cœur. Et je me sentais des pieds de plomb ! Il n’y avait pas d’autre officier à qui je pusse m’adresser ; je n’avais pas même assez de décision pour m’éloigner.

Paralysé par le remords, je gardais le dos tourné à la fenêtre. Ne croyez pas que tout ceci eût duré bien longtemps. Combien de temps ? Une minute, peut-être. A juger de ma torture morale, cette minute-là s’était prolongée cent ans, bien plus que toute ma vie depuis. Non, la scène ne dura pas même une minute. Les cris rauques des malheureux captifs s’éteignirent dans leurs gorges sèches, et tout à coup une voix s’éleva, une voix profonde et calme, qui me priait de me retourner.

Cette voix, Señores, sortait des lèvres de Gaspar Ruiz. De son corps, je ne distinguais rien. Quelques-uns de ses camarades avaient sauté sur son dos, et il les portait. Ses yeux clignotaient sans me regarder. Ce mouvement des lèvres et des paupières semblait être le seul effort dont il fût capable, sous le faix énorme qui l’accablait. Et lorsque je me retournai, la tête qui me paraissait de taille plus qu’humaine, au-dessus du menton appuyé, et sous la multitude d’autres têtes, me demanda si je désirais vraiment étancher la soif des prisonniers.

Je répondis : « Oui ! Oui ! » avec ardeur, et je vins me coller à la fenêtre. J’étais un vrai enfant, et je ne savais ce qui allait arriver. Je cherchais un adoucissement à mon remords et au sentiment de mon impuissance.

— « Avez-vous assez d’autorité, Señor teniente, pour défaire les liens de mes mains ? » demanda Gaspar Ruiz.

Ses traits n’exprimaient ni anxiété ni espoir. Ses