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sans doute bientôt pour lui de se marier aussi. En fait, il envisageait déjà l’époque où il n’y aurait plus personne à combattre en Europe, et où le règne des guerres serait terminé. « J’espère à cette heure-là, écrivait-il, me trouver à distance raisonnable du bâton de maréchal. Toi, qui seras une épouse d’expérience, tu me chercheras une femme. Je serai sans doute chauve et un peu blasé. Il me faudra une jeune fille, jolie bien entendu et dotée d’une grosse fortune, pour m’aider à clore ma glorieuse carrière avec une splendeur en accord avec mon rang élevé. » Il racontait pour terminer qu’il venait de donner une leçon à un imbécile hargneux et importun qui croyait avoir sujet de se plaindre de lui. « Mais si tu entendais jamais, au fond de ta province, taxer ton frère de tempérament querelleur, n’en crois rien. On ne peut jamais savoir quel ragot pourrait atteindre tes oreilles innocentes. En, tout cas, dis-toi bien que ton frère toujours tendre n’a rien d’un bretteur. » Sur quoi le capitaine d’Hubert froissant la feuille de papier sur laquelle il avait écrit : Mon testament et mes dernières volontés, la jeta au feu avec un grand éclat de rire. Il se moquait bien de ce que pouvait faire l’énergumène. Il venait d’acquérir la soudaine conviction que son adversaire ne saurait en rien affecter sa vie, si ce n’est pour mettre une animation particulière dans les intervalles joyeux et charmants qui séparaient les campagnes.

Mais, de ce moment, il ne devait plus y avoir d’intervalle paisible dans la carrière du capitaine d’Hubert. Il vit les champs de bataille d’Eylau et de Friedland, fit marches et contremarches dans la neige, la boue et la poussière des plaines de Pologne, acquit honneurs et avancement sur toutes les routes de l’Europe septentrionale. Cependant, le capitaine Féraud, envoyé en Espagne avec son régiment, y prenait part à une guerre odieuse. C’est seulement quand commencèrent les préparatifs de la campagne de Russie, qu’il repartit pour