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ne saurait m’en empêcher. Pourquoi pensez-vous que je vous demande de me raconter votre histoire ?

— Je sais que ce n’est pas par vaine curiosité, protesta le lieutenant. Je suis sûr que vous agirez pour le mieux. Songez seulement au bon renom du régiment.

— Il ne saurait être compromis par une folie juvénile de lieutenant, remontra sévèrement le colonel.

— C’est vrai, mais il peut l’être par les ragots. On dira qu’un lieutenant du 4e hussards se cache derrière son colonel pour ne pas rencontrer un adversaire. Et ce serait pis que de se mettre derrière une meule... pour le bien du service. Je ne puis y consentir, mon colonel.

— Personne n’oserait rien dire de pareil, commença avec fureur le colonel, dont la phrase s’acheva en un murmure dubitatif.

La bravoure du Lieutenant d’Hubert était bien connue.

Et le colonel savait parfaitement que le courage en duel, en combat singulier, passe, à tort ou à raison, pour un courage d’espèce particulière. Il était éminemment nécessaire qu’un officier de son régiment possédât toutes les espèces de courage et le prouvât aussi. Le colonel avança la lèvre inférieure, et fixa au loin un regard immobile. C’était là chez lui marque de perplexité, expression pratiquement inconnue à son régiment, car la perplexité est un sentiment incompatible avec les fonctions de colonel de cavalerie. L’officier était accablé par la nouveauté déplaisante d’une telle sensation. Comme il n’était pas habitué à réfléchir, en dehors de questions professionnelles, ayant trait au bien-être des hommes et des chevaux et de leur utilisation sur le champ de gloire, ses efforts intellectuels dégénéraient en une simple répétition d’expressions violentes : — Mille tonnerres ! pensait-il. Sacré nom de nom !

D’Hubert fut secoué par une quinte de toux douloureuse et ajouta, d’un ton las :

— Il y aura assez de méchantes langues pour dire