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car lui aussi était aimé pour l’exubérance de sa nature méridionale et la simplicité de son caractère. Partout où les officiers avaient coutume de se réunir à la fin de la journée, on discuta, à tous points de vue, le duel du matin. Bien que le lieutenant d’Hubert eût eu cette fois le dessous, on louait fort son jeu, à coup sûr très serré et très scientifique. On chuchotait même que, s’il avait été touché, c’était pour avoir voulu épargner son adversaire. Maints connaisseurs affirmaient pourtant que la vigueur et le cran du lieutenant Féraud étaient irrésistibles.

Si l’on discutait ouvertement les mérites des deux officiers comme combattants, on passait rapidement et avec circonspection sur leur attitude après le duel. Ils paraissaient irréconciliables, et tout le monde le déplorait.

Mais ils savaient bien, somme toute, ce que leur dictait le souci de leur honneur, et ce n’était pas aux camarades à aller fourrer le nez dans leurs affaires. Quant à l’origine de la querelle, l’impression générale était qu’elle devait dater de leur séjour à Strasbourg. Cette opinion faisait pourtant hocher la tête au chirurgien flûtiste : c’était une affaire bien plus ancienne, à son sens.

— Voyons ! Vous devez connaître toute l’histoire, crièrent plusieurs voix avec une ardente curiosité. De quoi s’agissait-il donc?

Il leva délibérément les yeux au-dessus de son verre :

— A supposer que je connusse les faits, vous ne pourriez pas me demander de vous les raconter, quand les deux? intéressés ne veulent rien en dire !

Il sortit en laissant derrière lui une atmosphère de mystère. Il ne pouvait s’attarder davantage, car l’heure magique de la flûte était proche.

Après qu’il fut parti, un jeune officier déclara solennellement :

— C’est évident ; il a les lèvres scellées.