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II


Il n’y réussit pas mieux que le reste de la garnison ni la société tout entière. Les deux officiers, dont on avait, jusque-là, fait assez médiocre cas, devinrent l’objet d’une curiosité universelle, qui s’attachait au motif de leur querelle. Le salon de madame de Lionnel était le centre des hypothèses ingénieuses : cette dame elle-même fut, pendant quelque temps, assaillie de questions, pour avoir été la dernière à parler à ces deux malheureux et téméraires jeunes gens avant leur départ pour le jardin fermé où ils s’étaient livré, à la nuit tombante, ce duel féroce. Elle affirmait n’avoir rien observé d’inaccoutumé dans leur attitude. Évidemment, le lieutenant Féraud était marri de se voir éloigné du salon. Rien de plus naturel : un homme n’aime jamais être dérangé au cours d’un entretien avec une dame réputée pour son élégance et sa sensibilité. D’ailleurs, le sujet importuna vite madame de Lionnel, car les bavardages les plus audacieux ne trouvaient à établir aucune corrélation entre cette affaire et sa personnalité. Et elle s’agaçait d’entendre avancer qu’il devait bien y avoir une femme au fond de l’histoire. Cette irritation, qui ne tenait ni à son élégance ni à sa sensibilité, mais à un côté plus instinctif de sa nature, devint si forte