Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en temps de paix, il tenait à cette heure-là comme un avare à son trésor.

— Bien sûr ! bien sûr ! fit-il négligemment. Vous ne sauriez en juger autrement. Quant à moi, parfaitement neutre et animé des meilleures intentions à votre double endroit, j’ai consenti à vous transmettre son message. Dites que je me prête aux fantaisies d’un malade, si vous voulez. Il veut que vous sachiez que l’affaire n’est nullement close. Il vous adressera ses témoins dès qu’il aura repris des forces, à condition, bien entendu, que l’armée ne soit pas en campagne à l’époque.

— Ses témoins, vraiment ? Eh bien, c’est entendu ! bredouilla d’Hubert avec fureur.

Le visiteur ne pouvait deviner le motif d’une telle exaspération, mais cette colère le confirma dans l’opinion qui commençait à se faire jour qu’un débat très sérieux s’était élevé entre les jeunes gens, un motif assez important pour réclamer un air de mystère, un fait de la plus haute gravité. Pour vider leur querelle, les deux jeunes officiers avaient risqué, au seuil de leur carrière, disgrâce et rétrogradation. Le chirurgien craignait que l’enquête prochaine déçût la curiosité générale. Les deux adversaires n’allaient pas livrer à la curiosité publique un différend assez grave pour leur faire risquer une accusation de meurtre. De quoi pouvait-il s’agir ?

Le docteur n’était pas très curieux par tempérament, mais la question qui harcelait son esprit lui fit retirer à deux reprises ce soir-là l’instrument de ses lèvres, en plein milieu d’un morceau, et il resta un moment silencieux, à la recherche d’une théorie plausible.