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avec un coup d’œil oblique sur l’homme au visage lourd et au poil grisonnant.

— En tout cas, fît le chirurgien avec une certaine impatience, je ne veux pas formuler d’opinion sur votre conduite...

— Par le ciel, vous ferez bien!... éclata d’Hubert.

— Là ! là ! Ne prenez pas feu comme cela. Ça ne rapporte guère, à la longue. Comprenez, une fois pour toutes, jouvenceau que vous êtes, que je ne me soucie pas de vous entamer la peau avec d’autres outils que ceux de mon métier. Mais mon conseil est bon. Si vous continuez de la sorte, vous vous ferez une vilaine réputation.

— Continuer comment ? demanda le lieutenant, tout à fait sidéré. Moi ! moi ! me faire une réputation... ? Qu’est-ce que vous imaginez donc ?

— Je vous ai déjà dit que je ne prétendais pas déterminer les torts dans cet incident. Ce n’est pas mon affaire. Cependant...

— Que diable a-t-il pu vous raconter ? interrompit d’Hubert avec un ahurissement parfait.

— Je vous ai déjà dit qu’au premier abord, lorsque je l’ai trouvé dans le jardin, il était incohérent. Après, il s’est montré naturellement réticent. Du moins ai-je cru comprendre qu’il n’y avait pas de sa faute dans l’affaire.

— Pas de sa faute ! clama le lieutenant du haut de sa voix. Puis baissant le ton, et d’un accent ému : Et moi, y avait-il de ma faute ?

Le chirurgien se leva. Ses pensées allaient à la flûte, fidèle compagne à la voix consolatrice. Au voisinage des ambulances du front, après vingt-quatre heures de rude labeur, on l’avait entendu troubler de ses doux accents l’horrible paix des champs de bataille abandonnés au silence et à la mort.

L’heure exquise de sa vie quotidienne approchait, et,