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Le sergent expliqua, avec un haussement d’épaules, qu’il n’eût pas eu le droit d’ouvrir cette porte, même s’il en eût possédé la clef. Et c’était l’adjudant du fort qui la gardait dans sa poche ! Pourquoi, au surplus, prendre une peine inutile en faveur de gens qui devaient mourir au coucher du soleil ? Il ne pouvait comprendre ce qui avait empêché de les fusiller le matin même.

Le lieutenant Santierra tournait obstinément le dos à la fenêtre. C’est sur sa prière expresse que le commandante avait sursis à l’exécution. Ce sursis lui avait été accordé en considération de sa noble famille, et de la situation de son père parmi les chefs du parti républicain. Le lieutenant Santierra croyait que le général viendrait au fort, dans le courant de l’après-midi, et espérait naïvement que son intercession amènerait le général à faire grâce à quelques-uns, au moins, de ces criminels. Une réaction brutale lui montrait maintenant, dans sa tentative, une intervention absurde et futile. Il sentait bien que le général n’écouterait pas sa prière ; incapable de sauver ces hommes, il s’était donc seulement rendu responsable des souffrances ajoutées à la cruauté de leur sort.

— Alors, cours demander la clef à l’adjudant, ordonna le lieutenant Santierra.

Le sergent hocha la tête avec un sourire timide, et jeta un regard de côté sur Gaspar Ruiz dont le visage, immobile et silencieux derrière les barreaux de fer, dominait un amas de têtes hagardes, défigurées et hurlantes.

Son Honneur l’Adjudant de Place faisait sa sieste, murmura le sergent, et à supposer qu’on l’introduisît en présence de Son Honneur, il pouvait s’attendre à recevoir une bastonnade mortelle, pour avoir osé troubler le repos de Son Honneur. Il fit, des mains, un geste d’excuse, et resta immobile, en baissant sur ses pieds bruns des yeux modestes.