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fleurs, quand le lieutenant Féraud lui allongea une bourrade dans le dos. A la vue de ce furieux qui agitait un grand sabre, le vieillard, tremblant de tous ses membres, lâcha son arrosoir. Féraud fit rouler l’instrument d’un coup de pied rageur, et saisissant le jardinier à la gorge, l’appliqua contre un arbre. Il l’y maintint et lui cria dans l’oreille :

— Reste-là et regarde ! Tu comprends ? Il faut que tu regardes ! Tâche de ne pas bouger !

Le lieutenant d’Hubert descendait lentement l’allée et déboutonnait son dolman avec un dégoût non dissimulé. A ce moment même, la main sur la poignée de son sabre, il hésitait à dégainer, lorsque l’exclamation :

— En garde, fichtre. Pourquoi vous croyez-vous donc ici ? et la ruée de son adversaire l’obligèrent à se mettre au plus vite en posture de défense.

Le fracas des armes remplissait le jardin correct qui n’avait jusque-là connu de bruit plus martial que le cliquetis du sécateur : tout à coup le buste de la vieille propriétaire émergea d’une des fenêtres du premier. Elle levait les bras au-dessus de son bonnet blanc, et criait d’une voix chevrotante. Le jardinier restait collé à l’arbre et ouvrait, d’étonnement stupide, une bouche édentée ; un peu plus haut, la jolie fille, apparemment rivée par un charme magique au coin de la pelouse, faisait quelques pas à droite et à gauche, et se tordait les mains, avec un flot de paroles sans suite. Elle ne se précipita pas entre les combattants : les attaques du lieutenant Féraud étaient si féroces que le cœur lui manqua. D’Hubert, ses facultés concentrées sur la défensive, avait besoin de toute son adresse et de sa science du sabre pour parer les coups de son adversaire. Deux fois déjà, il avait dû rompre. Il était agacé de sentir son équilibre menacé par les graviers ronds de l’allée qui roulaient sous les semelles épaisses de ses bottes, — Mauvais terrain, se disait-il, non sans tenir sur