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de gaieté, mais son visage commençait à se couvrir : il se demandait sérieusement comment il allait s’esquiver... Il était impossible de fuir devant un énergumène qui brandissait un sabre, et quant à se battre avec lui, c’était plus inadmissible encore. Il attendit un instant, puis dit exactement ce qu’il éprouvait :

— Lâchez ça ! Je ne me battrai pas avec vous. Je ne me laisserai pas ridiculiser.

— Ah ! vous ne vous laisserez pas... grinça Féraud. Vous préférez sans doute être infâme. Entendez-vous ce que je vous dis : Infâme ! Infâme ! Infâme ! cria-t-il, en se dressant sur les pieds et en se laissant retomber tour à tour. Il était devenu très rouge.

Le lieutenant avait un moment blêmi sous l’épithète odieuse, puis il rougit à son tour jusqu’à la racine de ses cheveux blonds.

— Vous ne pouvez pas vous battre ! Vous êtes aux arrêts, espèce de fou ! objecta-t-il, avec un mépris courroucé.

— Et le jardin ? Il est bien assez grand pour y coucher votre grande carcasse, bredouilla l’autre si furieusement que la colère de son interlocuteur s’en apaisa.

— C’est parfaitement absurde ! fit-il, heureux d’avoir trouvé une échappatoire. Nous ne dénicherons jamais de camarades pour nous servir de seconds. C’est une plaisanterie !

— Des seconds ! Au diable les seconds ! Nous n’avons pas besoin de témoins. Ne vous tourmentez pas de ça ! Je préviendrai vos amis de venir vous enterrer, une fois l’affaire finie. Et si vous voulez absolument des témoins, je dirai à la vieille logeuse de passer la tête par une de ses fenêtres. Tenez ! Voilà le jardinier. Il fera l’affaire. Il est sourd comme un pot, mais il a deux yeux dans la tête. Venez ! Je vous apprendrai, mon bel oiseau d’état-major, que la transmission des ordres d’un général n’est pas toujours un jeu d’enfant.