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— Où diable voulez-vous en venir ?

— Je veux, éclata brusquement Féraud, vous couper les oreilles pour vous apprendre à venir me déranger quand je suis auprès d’une dame.

Un profond silence suivit cette déclaration, et par la fenêtre ouverte, d’Hubert entendit les petits oiseaux chanter paisiblement dans le jardin. Il fit appel à tout son calme pour dire :

— Si vous le prenez sur ce ton, je me tiendrai naturellement à votre disposition dès que vous serez libre de donner suite à l’affaire. Et je ne crois pas que vous me coupiez les oreilles.

— Je vais lui donner suite sans tarder, cria Féraud, avec une violence extrême. Si vous croyez pouvoir déployer vos mines et vos grâces ce soir dans le salon de madame de Lionnel, vous vous trompez fort.

— Vraiment, fit d’Hubert qui commençait à sentir monter sa colère ; vous êtes un homme bien insociable. Les ordres du général étaient de vous mettre aux arrêts, et non pas de vous couper en morceaux. Au revoir !

Et tournant le dos au petit Gascon qui, toujours ferme dans les beuveries, paraissait ivre de naissance et grisé par le soleil de son pays de vignes, l’homme du Nord, qui savait boire sec à l’occasion, mais était né sobre sous les ciels mouillés de Picardie, se dirigea vers la porte. En entendant derrière son dos le bruit caractéristique d’un sabre tiré du fourreau, il fut pourtant obligé de s’arrêter.

— Le diable emporte ce maudit Méridional, pensa-t-il en faisant volte-face, et en contemplant avec placidité la posture belliqueuse de Féraud.

— Tout de suite, tout de suite ! bredouillait le Gascon hors de lui.

— Je vous ai donné ma réponse, fit l’autre avec le plus grand calme.

Il s’était d’abord senti un peu vexé, avec un soupçon