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— Je suis chargé par le général de vous donner l’ordre de vous rendre à votre chambre, pour y prendre des arrêts de rigueur.

C’était au tour de Féraud d’être étonné. — Que diable me racontez-vous là ? grommela-t-il avec une stupeur telle qu’il ne pût qu’imiter machinalement les gestes de son camarade. Les deux officiers, l’un grand avec une moustache couleur de blé mûr, l’autre court et vigoureux avec un nez busqué et une toison de cheveux noirs frisés, s’approchèrent de la maîtresse de maison pour prendre congé d’elle. Madame de Lionnel, en femme de goût éclectique, sourit aux deux lieutenants avec une sensibilité impartiale et un égal intérêt. Madame de Lionnel faisait ses délices des variétés infinies de l’espèce humaine.

Tous les yeux du salon suivirent la retraite des deux officiers, et quand ils furent sortis, un ou deux messieurs, déjà au courant du duel, en informèrent les aimables sylphides qui accueillirent cette nouvelle à petits cris d’effroi.

Cependant les deux hussards marchaient côte à côte, Féraud s’efforçant de scruter la raison cachée de choses qui, en l’occurrence, échappaient à sa compréhension, Hubert assez gêné de son rôle, car le général l’avait prié de s’assurer en personne que le lieutenant Féraud exécuterait ses ordres à la lettre et sur-le-champ.

— Le patron a l’air de connaître l’animal, se disait-il en regardant son compagnon dont le visage brun, les yeux ronds, et jusqu’à la petite moustache de jais retroussée, semblaient animés par une exaspération intérieure contre l’incompréhensible. Et il remarqua à haute voix, sur un ton de reproche :

— Le général est dans une colère furieuse contre vous !

Féraud arrêté court sur le bord du trottoir, s’écria sur un ton d’évidente sincérité :