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et d’implorer son pardon pour avoir interrompu un intéressant entretien…

Un bras nu se tendit vers lui avec une gracieuse nonchalance, et il pressa respectueusement ses lèvres sur une main, que dans son for intérieur il qualifia d’osseuse. Madame de Lionnel était une blonde à la peau trop fine et au long visage.

— J’y compte, fit-elle avec un sourire éthéré, qui découvrit une rangée de longues dents. Venez ce soir chercher votre pardon.

— Je n’y manquerai pas, Madame.

Cependant le lieutenant Féraud, magnifique dans son dolman neuf et ses bottes d’ordonnance prodigieusement luisantes, se tenait sur une chaise, à un pied du divan, une main sur la cuisse, l’autre effilant sa moustache. Sur un regard significatif de son camarade, il se leva sans empressement, et le suivit dans une embrasure de fenêtre.

— Que voulez-vous ? demanda-t-il, avec une indifférence surprenante. Le lieutenant d’Hubert ne pouvait imaginer que, dans l’innocence de son cœur et la simplicité de sa conscience, Féraud pût considérer son duel sans le moindre remords ou sans une légitime appréhension des conséquences. Sans garder un souvenir bien clair des origines de la querelle (commencée dans un établissement où l’on boit de la bière et du vin jusqu’à des heures avancées de la nuit), le jeune homme ne doutait pas le moins du monde de sa qualité d’offensé. Il avait choisi pour seconds deux amis d’expérience, et tout s’était passé conformément aux règles qui régissent cette sorte d’aventure. Un duel est bien fait pour que l’un des adversaires soit un peu abîmé, sinon tué du coup. C’est le pékin qui avait été blessé. Cela aussi était dans l’ordre. Le lieutenant Féraud était parfaitement tranquille ; mais d’Hubert prit cette attitude pour de l’affectation et lui parla avec une certaine vivacité.