Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je vous ai dit où le trouver, s’écria la soubrette, en rougissant jusqu’aux yeux.

— Merci, mon enfant. Je ne sais pas ce que j’aurais fait sans vous.

Après avoir manifesté sa gratitude de façon agressive et avoir vu la jeune fille repousser son attaque avec une violence qui fit soudain place à une indifférence plus déconcertante encore, le lieutenant d’Hubert quitta la maison.

Il parcourait les rues avec une crânerie martiale, dans un cliquetis de sabre et d’éperons. La perspective d’aller relancer un camarade dans un salon où il n’était pas connu ne le troublait pas le moins du monde. L’uni­forme est un passeport. Son titre d’officier d’ordonnance du général ajoutait à son assurance. Au surplus, main­tenant qu’il savait où trouver le lieutenant Féraud, il n’avait plus le choix. C’était une affaire de service.

La maison de madame de Lionnel avait grande appa­rence. Un domestique en livrée, ouvrant la porte d’un vaste salon au paquet ciré, lança le nom du lieutenant d’Hubert, et s’effaça pour le laisser passer. C’était jour de réception. Les dames portaient de grands chapeaux surchargés d’une profusion de plumes; leurs corps serrés dans des gaines blanches, plaquées des aisselles au bout des souliers de satin découverts, leur donnaient la mine de fraîches sylphides, avec, grand déploiement de cous et de bras nus. Les hommes qui causaient avec elles, au contraire, étaient lourdement vêtus d’uniformes bariolés; leurs cois montaient, jusqu’aux oreilles, et de gros ceinturons ceignaient leur taille. Le lieutenant d’Hubert traversa la pièce sans la moindre gêne et s’in­clina très bas devant une des sylphides allongées sur un divan : il s’excusa d ’une intrusion que pouvait seule faire pardonner l’extrême urgence d’un ordre de ser­vice dont il était chargé pour son camarade Féraud. Il se proposait de revenir bientôt de façon plus régulière,