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aire prisonnier, mi teniente. Et les trois autres ont rejoint le détachement dans la nuit ; pourquoi n’a-t-il pas fait comme eux, lui qui était sans blessures, et plus fort que ses camarades ?

— A quoi sert la force contre un cavalier avec un lasso ? protesta ardemment Gaspar Ruiz. Il m’a traîné derrière lui pendant un quart de lieue !

Cette excellente raison provoqua chez le sergent un ricanement de mépris. Le jeune officier courut à la recherche du Commandante.

Bientôt arriva l’adjudant du fort. C’était un vieux dur à cuire brutal, en uniforme loqueteux. Sa voix bredouillante sortait d’un visage plat et jaune. Le sergent lui apprit que les condamnés ne devaient pas être exécutés avant le coucher du soleil, et lui demanda ce qu’il allait faire d’eux jusque-là.

L’adjudant jeta autour de la cour un regard féroce, et montrant la porte d’une salle de garde qui prenait air et lumière par une fenêtre à lourds barreaux de fer, dit : — Fourrez-moi ces canailles là-dedans.

Le sergent affermit sa main sur la canne à laquelle lui donnait droit son rang, et exécuta l’ordre avec zèle et célérité. Il frappa à la tête et aux épaules Gaspar Ruiz, dont les mouvements lui paraissaient trop lents. Gaspar resta un moment immobile sous l’averse des coups ; il se mordait pensivement les lèvres, comme un homme absorbé dans une opération mentale délicate. Puis il suivit sans hâte ses compagnons. La porte fut fermée et l’adjudant en emporta la clef.

Vers midi, la chaleur était devenue intolérable dans la pièce basse, bourrée jusqu’à la suffocation. Groupés près de la fenêtre, les prisonniers imploraient une goutte d’eau de leurs gardiens ; mais les soldats restaient allongés dans des attitudes indolentes sous l’ombre courte des murs, tandis que la sentinelle, le dos à la porte, fumait une cigarette, en levant philosophiquement