Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


II


Gaspar Ruiz, condamné à mort comme déserteur, ne pensait ni à sa ferme natale, ni aux parents pour qui la douceur de son caractère et la grande force de ses membres avaient fait de lui un bon fils. L’avantage pratique de cette vigueur était encore amplifié pour son père par cette soumission. Gaspar Ruiz était obéissant dans l’âme.

Il n’était pas moins poussé à une sorte de révolte obscure par sa répugnance à mourir de la mort des traîtres. Il n’était pas un traître. Il répéta au sergent :

— Tu sais bien que je n’ai pas déserté, Esteban ; tu sais bien que je suis resté en arrière, dans les arbres, avec trois camarades, pour retenir l’ennemi pendant que le détachement fuyait.

Le lieutenant Santierra, presque enfant encore à l’époque et mal habitué aux imbécillités sanguinaires de la guerre civile, marchait dans la cour du fort, comme s’il eût été fasciné par la vue de ces hommes que l’on allait fusiller, « pour l’exemple », selon l’expression du Commandante.

Sans daigner regarder le prisonnier, le sergent s’adressa au jeune officier avec un sourire de supériorité :

— Il aurait fallu plus de dix hommes pour le faire