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UN ANARCHISTE

Cette année-là, je passai les deux plus beaux mois de la saison sèche sur l’un des domaines, — sur le principal domaine, devrais-je dire,  — d’une célèbre société de fabrication d’extrait de viande.

B. O. S. BOS. Vous avez lu les trois lettres magiques sur les pages de réclame des journaux et des revues, à la devanture des marchands de comestibles et dans les calendriers de l’année à venir que la poste vous apporte au mois de novembre. Vous avez lu ces brochures rédigées en plusieurs langues, en un style d’un pâle enthousiasme, et dont les statistiques de massacre et de sang ont de quoi faire pâlir un Turc. La partie « artistique », destinée à illustrer cette « littérature », représente, en couleurs brutales et luisantes, un énorme taureau noir qui piétine furieusement un serpent jaune convulsé d’agonie dans une herbe vert émeraude : le tout se détache sur un ciel de cobalt. C’est atroce et allégorique. Le serpent représente la maladie, la faiblesse, peut-être simplement la faim, cette maladie chronique de la plus grande partie de l’humanité. Naturellement, tout le monde connaît la B. O. S. Co Ltd, avec ses produits sans rivaux. Vinibos, Jellybos, et la suprême, l’inégalable perfection, le Tribos, dont les vertus nutritives, non