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dans sa chambre, et maman faillit se tuer, en le soignant d’une fièvre cérébrale.

L’homme me fit un signe significatif.

— Ah ! il n’y avait rien à faire de cette brute. Elle avait un démon dans le corps !

— Qu’est devenu votre frère ? demandai-je, m’attendant à apprendre sa mort. Mais non ; il commandait un bon vapeur sur les côtes de Chine et ne rentrait plus jamais au pays.

Jermyn poussa un gros soupir, et jugea son mouchoir assez sec pour l’appliquer tendrement contre son pauvre nez rouge.

— C’était une bête vorace, reprit l’homme au complet de drap. Le vieux Colchester mit les pieds dans le plat et donna sa démission. Eh bien, le croiriez-vous ? Apse et Fils lui écrivirent pour le prier de revenir sur sa décision ! Tout pour sauver le bon renom de leur Famille Apse. Le vieux alla les voir au bureau et dit qu’il consentait à remonter sur leur navire, à la condition de le conduire dans la Mer du Nord pour l’y saborder. Il avait perdu la boule. Gris de fer, jusque-là, ses cheveux étaient devenus tout blancs en quinze jours. Et Mr. Apse qui le connaissait depuis leur première jeunesse, fit semblant de ne pas s’en apercevoir. Hein, voilà bien de l’engouement et de l’orgueil !

Ils sautèrent sur le premier bonhomme venu ; c’eût été un scandale que la Famille Apse ne pût trouver de capitaine. C’était, je crois, un bon vivant, qui se maintint sur le bateau envers et contre tous. Il avait Wilmot pour second lieutenant. Une espèce de braque qui affichait un parfait mépris pour toutes les filles. La vérité, c’est qu’il était affreusement timide, mais que l’une d’elles levât seulement le petit doigt en manière d’encouragement, et il n’y avait plus à le tenir. Comme novice déjà, il avait déserté à la suite d’un jupon, et aurait été perdu pour toujours, si son capitaine n’avait