batteries qui commandent la rade de Valparaiso. L’officier qui l’avait identifié était parti sans écouter ses protestations. Son sort était irrévocable ; les mains étroitement liées derrière le dos, il souffrait par tout le corps des coups de baguette et de crosse de fusil qui avaient hâté sa marche douloureuse depuis le lieu de sa capture jusqu’à la porte du fort. C’était la seule marque d’attention systématique que les prisonniers eussent obtenue de leur escorte, pendant les quatre jours de route à travers un pays pauvre en eau. Au passage des rares ruisseaux, on leur permettait d’étancher leur soif, en lapant à la hâte, comme des chiens. Le soir, on leur jetait quelques déchets de viande, quand ils tombaient morts de fatigue, sur le sol pierreux de la halte.
Au petit jour, dans la cour du fort, après une nuit de rude marche, Gaspar Ruiz se sentait la gorge parcheminée et sa langue lui semblait desséchée et tuméfiée dans sa bouche.
Outre la soif, Gaspar Ruiz était en proie à une colère sourde, qu’il ne savait pas très bien exprimer, comme si la force de son esprit n’eût été nullement à la hauteur de la vigueur de son corps.
Les autres condamnés baissaient la tête, et regardaient farouchement à leurs pieds. Mais Gaspar Ruiz s’obstinait à répéter : « Pourquoi aurais-je déserté, pourquoi ? Dis-le-moi, Esteban ? »
Il s’adressait au sergent qui se trouvait issu de la même région que lui. Le sergent haussa ses maigres épaules, et ne fit plus attention à la voix profonde qui grondait dans son dos. Il était étrange, en effet, que Gaspar Ruiz eût déserté. Ses parents étaient de situation bien trop humble pour être fort sensibles aux avantages d’un gouvernement ou de l’autre. Gaspar Ruiz n’avait aucune raison de payer de sa personne pour soutenir la puissance du roi d’Espagne. Il n’avait pas, d’ailleurs, montré plus d’enthousiasme pour la renver-