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êtes entré que j’ai embarqué pour la première fois.

— Quel bateau ? demandai-je, d’un ton intrigué. Je ne vous ai jamais entendu parler d’un bateau.

— Je viens de vous dire son nom, mon cher Monsieur, répondit-il : la Famille Apse. Vous avez certainement entendu parler de la grande maison Apse et Fils, Armateurs. Ils possédaient une assez belle flotte. Il y avait la Lucie Apse, le Harold Apse, et des Anne, John, Malcolm, Clara, Juliette, toute une série d’Apses. Chacun des frères, sœurs, tantes, cousines, femmes, jusqu’à la grand’mère de la maison avait donné son nom à l’un de leurs bateaux, C’étaient de bons bâtiments, à vrai dire, solidement construits à l’ancienne mode, pour porter du fret et vivre longtemps. Ils ne comportaient pas toutes vos machines modernes qui épargnent la peine des hommes, mais ils embarquaient de gros équipages, avec de belles provisions de bœuf salé et de biscuit, et s’en allaient gaîment pour revenir de même.

Le triste Jermyn lança un murmure d’approbation qui sonna comme un gémissement douloureux. Voilà de vrais bateaux ! Il fit remarquer d’un ton lamentable que ce n’était pas à des machines qu’on pouvait dire :

— Allons, les enfants, de l’ensemble ! Les machines, ça ne grimpait pas dans la mâture, par une sale nuit, avec des bas fonds sous le vent.

— Non, approuva l’étranger, en clignant de l’œil à mon intention. Les Apses n’avaient pas confiance non plus dans toutes ces inventions-là, apparemment. Ils traitaient bien les hommes, mieux qu’on ne les traite de nos jours, et ils étaient extraordinairement fiers de leurs bateaux. Il ne leur arrivait jamais rien. Ce dernier-là, la Famille Apse, devait être comme les autres, mais plus fort encore, plus solide, plus grand et plus confortable. Je crois qu’ils rêvaient de le voir durer pour l’éternité. Ils le firent construire en matériaux variés : fer, bois de teck et green-heart, et ses proportions avaient quelque