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avec une sincérité parfaite. J’étais bien certain qu’il avait dû mourir moins de vingt minutes après avoir porté la main à ses lèvres. Car si son fanatisme anti-anarchiste allait jusqu’à porter du poison dans sa poche, pour la seule satisfaction de priver ses adversaires d’une vengeance légitime, je savais qu’il avait dû se procurer un toxique qui ne le trompât point à l’heure du besoin.

La jeune fille eut une aspiration de colère.. Il y avait des marques rouges sur ses joues, et un éclat fiévreux dans ses yeux.

— « Vit-on jamais femme exposée à une si terrible aventure ? Penser qu’il a tenu ma main, cet homme ! » Son visage se crispa ; elle refoula un sanglot pathétique. « Si j’avais jamais été sûre de rien, c’était bien de la noblesse des motifs de Sevrin. »

Sur-quoi, elle se mit à pleurer doucement, ce qui était excellent pour elle. Et avec un accent de colère hésitante, au milieu d’un déluge de larmes : — « Que m’a-t-il donc dit ? » demanda-t-elle. « Par conviction ! Cela faisait l’effet d’une triste ironie. Que pouvait-il vouloir dire ? »

— « Cela, ma chère enfant », répondis-je doucement, c’en est plus que moi ou quiconque ne pourrions vous expliquer. »

M. X… chassa d’une chiquenaude une miette de son habit.

— Et c’était parfaitement exact, en ce qui la concernait, elle. Car Horne, par exemple, déchiffra très bien l’énigme, et moi aussi, surtout après une visite que nous fîmes au logis de Sevrin, dans une lugubre petite rue de quartier éminemment respectable. Horne était connu comme ami de la maison, et nous n’eûmes aucune peine à nous y faire admettre ; la petite souillon qui nous ouvrit la porte se contenta de nous dire que « M. Sevrin n’était pas rentré cette nuit ». Nous forçâmes, par devoir une couple de tiroirs, et y trouvâmes