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de l’artiste : « Si je vous ai contrecarré, trompé et trahi, c’est par conviction ! »

Il tourna le dos à Horne et s’adressant à la jeune fille, répéta comme un écho : « … Par conviction ! »

Elle gardait un air de froideur extraordinaire. Sans doute ne trouvait-elle pas le geste nécessaire. Une telle situation ne devait comporter que peu de précédents.

— « C’est clair comme le jour », insista-t-il. « Comprenez-vous ces mots-là : « Par conviction ?… »

Elle ne bougeait toujours pas : elle ne savait que faire. Mais le malheureux allait lui donner l’occasion d’un beau geste, du geste opportun.

— « J’ai senti en moi le pouvoir de vous faire partager cette conviction », protesta-t-il ardemment. Il s’était oublié ; il fit un pas vers elle, ou trébucha, peut-être. Je crus le voir se pencher, comme pour toucher le bord de la robe de la jeune fille. Et c’est alors que vint le geste approprié. Arrachant sa jupe à ce contact impur, elle détourna la tête et redressa le front d’un geste brusque. Ce fut magnifique, ce geste conventionnel de l’honneur impollué, cette attitude de l’amateur au cœur pur.

On n’eût pu mieux faire. Et Sevrin dut en juger ainsi, car il se détourna à nouveau. Et cette fois, il ne regardait personne. Il haletait plus convulsivement que jamais, et fouilla fébrilement dans la poche de son gilet avant de porter la main à sa bouche. Il y avait quelque chose de furtif dans son mouvement, et son attitude changea tout de suite. Sa respiration saccadée lui donnait« la mine d’un homme qui vient de fournir une course forcenée, mais un air singulier de détachement, d’indifférence soudaine et profonde succéda à la tension du douloureux effort. La course était finie. Je ne me souciais pas d’assister à ce qui allait survenir : je ne le savais que trop. Je pris, sans un mot, le bras de la jeune fille sous le mien et sortis de la cave avec elle.