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était signé par un très haut personnage, avec les timbres et les contreseings d’autres grands fonctionnaires de divers pays d’Europe. Dans ce métier — ou faut-il dire dans cette mission ? — pareil talisman pouvait être nécessaire. Même dans la police, en dehors des grands chefs, l’individu était connu seulement comme Sevrin le fameux anarchiste.

Il penchait la tête, et se mordait la lèvre. Son agitation avait fait place à une sorte de calme appliqué et méditatif. Il haletait, pourtant. Ses flancs se soulevaient, et le battement convulsif de ses narines formait un étrange contraste avec son aspect sombre de moine fanatique et pensif, ou d’acteur peut-être, absorbé par les terribles exigences de son rôle. Devant lui, hagard et hirsute, Horne vitupérait, comme un prophète inspiré et menaçant sorti du désert. Deux fanatiques, bien faits pour s’entendre. Vous paraissez surpris ? Sans doute ne vous seriez-vous représenté de tels hommes que l’écume à la bouche et la menace aux lèvres ?

Je protestai vivement : je n’étais pas du tout surpris, et ne me figurais rien de semblable : les anarchistes en général étaient seulement, pour moi, des êtres inconcevables, aux points de vue mental, moral, logique, sentimental et même physique. X… accueillit cette déclaration avec son impassibilité ordinaire, et reprit :

— Horne avait lâché la bonde de son éloquence et des larmes échappées de ses yeux roulaient, sans qu’il s’en aperçût, sur sa barbe noire, tandis qu’il accablait d’invectives méprisantes Sevrin qui haletait de plus en plus convulsivement. Quand le misérable ouvrit la bouche pour parler, tous les assistants tendirent l’oreille :

— « Ne faites pas l’imbécile, Horne », commença-t-il, « vous savez très bien que je n’ai obéi à aucune des raisons que vous invoquez. » Et prenant tout à coup une apparente fermeté de roc sous le sombre regard