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serait heureux d’avoir une livre, n’importe quoi. « J’ai eu des malheurs », dit-il, d’un ton discret qui effrayait plus George que ne l’eût fait une scène violente… » « Veuillez considérer l’étendue de ma déception », dit-il…

George, au lieu de lui dire d’aller au diable, perd la tête, « Je ne vous connais pas. Que voulez-vous ? » crie-t-il, et il se précipite en haut chez Cloete… « Vous voyez ce qui arrive, dit-il en haletant, nous voilà maintenant à la merci de ce chenapan… » Cloete tente de lui démontrer que l’homme ne peut rien faire, mais George pense qu’on peut faire du scandale aveu tout cela, en tout cas. Il dit qu’il ne peut vivre avec cette horrible obsession. Cloete allait se mettre à rire. Comme s’il n’en avait pas plein le dos de tout cela. Mais tout à coup une pensée le frappe et il change de ton… « Mais oui peut-être. Je vais descendre et le renvoyer pour commencer… » Il revient. « Il est parti. Mais peut-être avez-vous raison. L’homme est à la côte et cela pousse parfois des gens au désespoir. La meilleure chose à faire serait de l’expédier loin d’ici pour un bout de temps. Le pauvre diable, voyez-vous, est vraiment dans le besoin. Je n’ai pas l’intention de vous demander grand’chose cette fois ; seulement de tenir votre langue, et je vais tâcher de décider votre frère à le prendre comme second. En entendant cela George se met les deux bras et la tête sur son pupitre, si bien que Cloete s’apitoie. Mais, en même temps, Cloete se sent plus joyeux parce qu’il a mis un peu de cœur au ventre à ce Stafford. Dans l’après-midi même il lui achète un complet bleu, et lui raconte qu’il faut se débrouiller et travailler pour gagner sa vie. Aller à la mer comme second sur le Sagamore. Le bougre n’en avait guère envie, mais c’est que, n’ayant rien à manger, ne sachant où dormir et la femme lui ayant fait peur avec ses histoires de poursuites et autres, il n’avait guère le choix, à vrai dire. Cloete s’occupe de lui pendant deux jours… « Notre arrangement tient toujours, dit-il. Le bateau doit aller maintenant à Port-Elisabeth, ce n’est pas un ancrage de tout repos. Si par hasard le bateau se détachait de son ancre dans un coup de nord-est et se collait à la côte, comme il y en a, eh bien ! c’est cinq cents livres dans votre poche, et un rapide retour chez vous. Cela vous va, n’est-ce pas ?»

Notre excellent Mr Stafford prend tout cela les yeux baissés. « Je suis un bon marin, dit-il d’un air sournois et modeste. Un second a, sans aucun doute, pas mal d’occasions de manipuler les chaînes et les ancres… » Là-dessus, Cloete lui donne une bonne tape dans le dos. « Parbleu, mon brave marin. Allez-y… » Peu après, George apprit de