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dit que vraiment cela n’en vaut pas la peine pour le maigre salaire qu’on en tire… « Oui, bien sûr, mais que diriez-vous d’un salaire de capitaine pour une fois, et deux cents livres de plus si vous êtes forcé de rentrer sans le bateau. Des accidents peuvent arriver », dit Cloete… « Oh, bien sûr », fait ce Stafford ; et, il continue à siroter son verre, comme si tout cela lui était bien égal.

Cloete le presse un peu ; mais l’autre observe, insolent et d’un air nonchalant : « Voyez-vous, il n’y a pas d’avenir dans une affaire comme ça, n’est-ce pas ?… » « Oh ! non, dit Cloete. Assurément pas. Je ne peux pas dire qu’il y ait là de l’avenir, pour vous. C’est une affaire une fois pour toutes. Eh bien, à combien estimez-vous votre avenir ? » demande-t-il… Et voilà notre homme plus indifférent que jamais, à demi endormi. M’est avis que le bougre était trop paresseux pour s’en soucier. Tricher plus ou moins aux cartes, tirer sa subsistance d’une femme ou d’une autre, à coup de câlineries ou de menaces, c’était plutôt son genre. Cloete l’engueule à voix basse. Tout cela au bar du Horse Shoe, dans Tottenham Court Road. Finalement, ils se mettent d’accord, au-dessus d’un second whisky chaud, pour cinq cents livres comme prix d’un coup de tomahak au Sagamore.

Une semaine ou deux se passe. Le type se balade dans les parages de la maison comme si de rien n’était, et Cloete commence à douter qu’il songe vraiment à entreprendre l’affaire. Mais un jour, il arrête Cloete à la porte, et toujours les yeux baissés : « Quoi de neuf pour cet emploi que vous vouliez me donner ? » demande-t-il… Probable qu’il avait joué un plus sale tour que de coutume à la femme, qu’il s’attendait à des embêtements et à être fichu à la porte, pour sûr. Voilà Cloete satisfait. George avait tellement lanterné à ce sujet devant lui qu’il considérait l’affaire comme dans le sac. Et il dit : « Oui, Il est temps que je vous présente à mon ami. Mettez votre chapeau et allons-y… »

Ils s’amènent tous les deux dans le bureau ; George qui était assis à sa table se lève comme pris de panique et les regarde. Il voit un gros individu, avec une sorte de belle figure douteuse, des yeux lourds à moitié fermés, un pardessus court de couleur noisette, un chapeau melon râpé, des mouvements précautionneux. Et il se demande : « C’est donc ça l’aspect d’un tel homme. Non, cela ne se peut pas… » Cloete fait la présentation, et l’homme se retourne pour regarder la chaise avant de s’y asseoir, « Un homme tout à fait compétent », poursuit Cloete. L’homme ne dit mot, reste assis parfaitement tranquille. Et George ne peut articuler un mot, la gorge trop sèche. Alors, il fait un effort : « H’m,