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Il débarqua à Malata, un matin, au bas du jardin, et n’y trouva que la paix, le calme et la lumière. Les fenêtres du bungalow et les portes étaient grandes ouvertes. Nulle trace d’être humain. Les plantes, à foison, poussaient à l’aventure dans les champs désertés.

Entraînés par ce mystère, le rédacteur et l’équipage de la goélette battirent toute l’île pendant des heures, en appelant Renouard à tue-tête. À la fin on organisa une battue méthodique dans les fourrés sauvages et les ravins profonds à la recherche de son cadavre. Que s’était-il passé ? Avait-il été assassiné par les boys ou bien avait-il, par caprice, abandonné sa plantation en emmenant avec lui tout son monde ? On ne pouvait conclure.

Enfin, au déclin du jour, le journaliste et le capitaine découvrirent des empreintes de sandales traversant le sable, sur la plage nord de la baie. Suivant cette trace avec crainte, ils contournèrent l’éperon du promontoire et là, sur une large pierre plate, trouvèrent les sandales de Renouard, sa jaquette blanche et son sarong à carreaux, costume qu’on savait être celui qu’il mettait pour aller se baigner. Ces objets étaient réunis en un petit tas, et le marin, après les avoir examinés en silence, fit cette remarque :

— Les oiseaux ont plané au-dessus de ceci pendant bien des jours.

— Il est allé se baigner et se sera noyé, s’écria le journaliste en détresse.

— J’en doute, Monsieur. S’il s’était noyé à un mille de la côte, son corps aurait été ramené sur les récifs et nos barques n’ont absolument rien trouvé nulle part.

On ne découvrit rien, et la disparition de Renouard demeura, en fin de compte, inexplicable.

Le lendemain soir, à bord de la goélette qui s’éloignait, le journaliste se retourna pour regarder une dernière fois l’île abandonnée. Un nuage noir planait immobile au-dessus du rocher qui dominait la colline centrale : et, sous cette ombre muette et mystérieuse, Malata s’etendait sombre, dans la désolation menaçante du soleil couchant, comme si elle gardait le souvenir du cœur qui s’était brisé là.