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cal Dunster, dans un fauteuil d’osier, se penchait en avant, bénin et un peu sourd, la main en cornet à son oreille, avec cette innocente avidité de la vieillesse qui se rappelle les ardeurs de la vie.

En proie à une sorte à appréhension, Renouard attendait la venue de la jeune fille. Et ce sentiment ressemblait à celui d’un homme qui craint le désenchantement bien plutôt que le sortilège.

Il s’était effrayé à tort. Dès qu’il la vit venir de loin, à l’autre extrémité de la terrasse, un frisson le prit jusqu’à la racine des cheveux. À son approche, le pouvoir de la parole, un moment, lui manqua.

Sa tante et Madame Dunster l’accompagnaient. Tout le monde s’assit ; un cercle se forma dans lequel Renouard se sentit accueilli avec cordialité ; et l’on parla naturellement de la grande recherche qui occupait tous les esprits. On attendait de lui la plus grande discrétion, mais il n’était plus question d’apporter des réticences sur l’objet même du voyage. On ne pouvait parler que des voies et moyens et des dispositions à prendre.

Renouard retrouva toute sa maîtrise de soi, en fixant obstinément son regard à terre, ce qui lui donnait un air de tristesse pensive. Il parvint à conserver à sa voix un ton grave et à mesurer ses paroles à propos du grand sujet en question. Il prit un soin extrême de choisir ses mots pour leur conserver une apparence raisonnable, sans leur donner cependant un sens décourageant. Car il ne voulait pas que cette recherche fût abandonnée, puisqu’alors il la verrait s’éloigner, avec ses deux protecteurs à tête blanche, là-bas, à l’autre bout du monde.

On lui demanda de revenir, de venir souvent, de prendre part aux conciliabules de tous ces gens passionnés par cette entreprise sentimentale d’un manifeste amour. En serrant la main de Miss Moorsom, il leva les yeux, il aurait voulu pouvoir dire quelque chose, mais la voix lui manqua ; il se sentit les lèvres scellées. Elle lui rendit son serrement de main, et comme il la quittait, il la vit regarder vaguement au loin, écoutant, semblait-il, une voix familière, cependant qu’un faible sourire effleurait ses lèvres : un sourire qui, sûrement, ne s’adressait pas à lui, et qui était le reflet d’une profonde et impénétrable pensée.