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cratie, continua le journaliste avec une imperturbable suffisance. C’est-à-dire si vous êtes suffisamment malin. Le seul danger, c’est de trop. Et je crois que c’est ce qui sera arrivé à ce garçon. Un beau jour il s’est trouvé mêlé à un vilain gâchis, un vilain gâchis financier. Willie vous comprenez, n’est pas entré dans les détails avec moi. On ne lui en a, du reste, pas donné beaucoup. Mais vous savez, là, une sale affaire, quelque chose qui relève de la cour d’assises. Il était innocent, cela va sans dire. Mais il a tout de même dû disparaître.

— Ah ! ah ! (Renouard se reprit à rire brusquement, le regard fixe, comme auparavant), il y a donc un autre M dans l’histoire ?

— Que voulez-vous dire ? demanda vivement le journaliste, comme si on eût voulu empiéter sur sa découverte.

— Je veux dire « maboul ».

— Mais non, pas du tout, pas du tout.

— Bon, appelez-le seulement un malfaiteur. Que diable voulez-vous que cela me fasse ?

— Mais attendez donc. Vous n’avez pas encore entendu la fin de l’histoire !

Renouard, qui avait déjà son chapeau sur la tête, se rassit avec le sourire de dédain d’un homme qui a découvert la morale d’une histoire. Le journaliste virevoltait sur sa chaise tournante. Enfin, d’un ton plein d’onction :

— Disons, un imprudent. Bien souvent l’argent est aussi délicat à manier que la poudre. On ne saurait prendre trop de précautions à l’égard des gens qui travaillent avec vous. En tout cas il y eut un krach fantastique, une affaire sensationnelle, et ses amis intimes ne le virent plus. Avant de disparaître, toutefois, il alla voir Miss Moorsom. Ne trouvez-vous pas que ce seul fait démontre son innocence ? Ce qui s’est dit alors entre eux, personne ne le sait, à moins que la jeune fille n’en ait fait confidence à son père. Il n’y avait pas grand chose à dire. Il n’y avait pas non plus grand chose à faire, si ce n’est de le laisser s’en aller, n’est-ce pas ? car l’histoire s’étalait dans tous les journaux. Le mieux, c’était de l’oublier, et aussi le plus facile. Pardonner aurait été plus difficile, pour une jeune fille de son genre et de son monde, mêlée à une pareille affaire. Je veux dire une jeune fille ordinaire. Or le pauvre diable ne demandait pas mieux que d’être oublié, seulement il trouva moins facile d’y contribuer. Il écrivit de temps à autre. Il n’écrivit pas à ses amis. Il n’avait pas de parents proches. Le professeur avait été son tuteur. Non, le pauvre diable écrivit de temps en temps à un ancien