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Le rédacteur, après avoir dit qu’il regrettait de n’avoir pu y aller, voulut savoir si les gens étaient intéressants.

Renouard regretta que son ami n’eût pas été là. Lui dont l’affaire ou du moins la profession, était de savoir tout ce qui se passait sur cette partie du globe, il aurait probablement pu lui dire qui étaient, parmi les invités, certains nouveaux venus. Le jeune Dunster (Willie), orné d’un énorme plastron de chemise et sa peau blanche luisant désagréablement entre ses rares cheveux noirs ramenés par mèches sur le sommet de sa tête, s’était précipité sur lui et l’avait présenté à ces personnes, comme il l’eût fait d’un chien savant ou d’un enfant prodige. Décidément, il détestait Willie : encore un de ces gros individus accaparants.

Il y eut un silence. Renouard semblait n’avoir plus rien à dire, lorsque tout à coup il aborda le vrai motif de sa visite au bureau de la rédaction.

— Ils m’ont eu l’air de gens qui sont sous l’effet d’un enchantement.

Le rédacteur jeta vers son ami un regard approbateur. Que cela fût ou non la conséquence de sa vie solitaire, c’était en tous cas une nouvelle preuve de sa faculté de pénétrer les physionomies.

— Vous avez omis de me les nommer ; mais je puis essayer de les deviner, peut-être ? Vous voulez parler du professeur Moorsom, de sa fille et de sa sœur, n’est-ce pas ?

Renouard approuva :

— Oui, une dame à cheveux blancs.

Mais par son silence et son regard fuyant il était facile de comprendre que ce n’était pas la dame à cheveux blancs qui l’avait intéressé.

— Ma foi, dit-il en reprenant son maintien habituel, il m’a semblé que je n’étais invité là que pour servir d’interlocuteur à cette jeune fille.

Il ne dissimula pas qu’il avait été vivement frappé par l’aspect de celle-ci. Personne n’aurait pu échapper à cette impression. Elle différait complètement de toutes les personnes présentes, et cela ne tenait pas uniquement à ce que sa robe venait de Londres.

Lui, ne l’avait pas conduite à table ; c’était Willie. Ce n’était qu’après, sur la terrasse…

La soirée était délicieusement calme. Il s’était assis à l’écart, seul, avec le désir d’être ailleurs, à bord de sa goélette, de préférence, et débarrassé de ce harnachement mondain. Il n’avait pas, en tout, échangé