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Tout était calme autour de Davidson. Qu’elle eut ou non couru vers le bateau, ce silence indiquait que le Français avait perdu sa trace dans l’obscurité.

Davidson soulagé, mais encore anxieux, voulut retourner vers la rive. Il n’avait pas fait deux pas dans cette direction qu’un autre cri retentit derrière lui, de nouveau près de la maison. Il pensa que le Français avait d’abord, en effet, perdu la trace de la malheureuse ; d’où ce moment de silence. Mais l’horrible bandit n’avait aucunement renoncé à son projet criminel et se persuadant qu’elle essaierait de revenir prendre son enfant alla se poster près de la maison pour l’attendre.

Ce dut être quelque chose comme cela. Au moment où Anne entrait dans la lumière qui tombait sur l’échelle, il s’était précipité aussitôt sur elle, impatient de vengeance. Elle avait poussé ce second cri de frayeur mortelle en l’apercevant, et de nouveau avait essayé de s’enfuir.

Cette fois elle tenta de gagner la rivière, mais pas en ligne droite. Ses cris retentissaient tout autour de Davidson. Il tournait sur les talons, suivant l’horrible trace des clameurs dans l’obscurité. Il aurait voulu crier : « Par ici, Anne », mais il ne le put. Devant l’horreur de cette chasse, plus effrayante encore dans son imagination que s’il avait pu la voir, la sueur lui perlait au front, tandis que sa gorge était sèche comme de l’amadou. Un cri suprême soudain se brisa net.

Le silence qui suivit fut plus terrible encore. Davidson se sentit mal. Il dut arracher son pied du sol et marcha droit devant lui, crispant son revolver et scrutant l’obscurité avec crainte. Soudain à quelques mètres de lui une forme volumineuse jaillit de terre et s’enfuit en bondissant. Instinctivement il fit feu sur elle, et s’élança à sa poursuite, quand il buta contre quelque chose de mou qui le fit s’étaler de tout son long.

« Au moment même où il tombait tête la première, il eut nettement la persuasion que ce ne pouvait être que le corps d’Anne-la-Rieuse. Il se releva et restant à genoux, il essaya de la soulever dans ses bras ; mais il la trouva si molle qu’il dut y renoncer ; elle était étendue le visage contre terre, les cheveux éparpillés autour de la tête. Il y en avait d’humides. Davidson lui tâtant la tête, découvrit une place où le crâne brisé céda sous ses doigts. Mais avant même d’avoir fait cette découverte, il savait qu’elle était morte. Le Français, en la poursuivant, l’avait jetée bas d’un coup de pied, et accroupi sur elle, il était en train de lui défoncer la tête avec le poids qu’elle-même lui avait attaché au