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la vue de ce petit garçon en blouse blanche malpropre et en culotte déguenillée. Il avait une tête ronde avec d’épaisses boucles brunes, les jambes brûlées de soleil, des taches de rousseur sur la figure et des yeux joyeux. Invité par sa mère à saluer le monsieur, il mit le comble à l’étonnement de Davidson en lui disant : « Bonjour », en français.

« Davidson, se resaisissant, regarda la femme en silence. Elle renvoya l’enfant vers la hutte, et quand il eut disparu dans l’habitation, elle se retourna vers Davidson, essaya de parler, mais après avoir pu extraire ces mots : « C’est mon Tony » ; elle fondit en larmes. Elle dut s’appuyer à l’épaule de Davidson. Lui, tout remué dans la bonté de son cœur, restait planté à l’endroit où elle était venue au devant de lui.

« Quelle rencontre, hein ? Bamtz l’avait envoyée voir quel était le blanc qui avait débarqué. Et elle l’avait reconnu, du temps où Davidson, qui avait été perlier, lui aussi dans sa jeunesse, fréquentait Harry le Perlier et d’autres : le plus posé, certes, d’une bande plutôt turbulente.

« Avant de reprendre le chemin de son bord, Davidson entendit le récit des aventures d’Anne-la-Rieuse, et eut une entrevue, dans le sentier, avec Bamtz lui-même. Elle avait retourné, en courant, jusqu’à la hutte, pour l’y chercher : il en sortit nonchalamment, les mains dans les poches, avec cette allure détachée, indifférente, sous laquelle il dissimulait son inclination à la servilité. Oui… Il pensait pouvoir s’établir là, avec elle. Ce disant, il désignait Anne-la-Rieuse, qui, immobile, montrait un air hagard et tragiquement anxieux, ses cheveux noirs répandus sur les épaules.

« Plus de maquillages ni de teintures pour moi, Davy, dit-elle, si seulement vous vouliez faire ce qu’il vous demande. Vous savez que je suis toujours prête à aider mes hommes, si seulement ils m’avaient laissé faire.

« Davidson ne doutait aucunement de sa sincérité ; mais c’était de la bonne foi de Bamtz dont il n’était pas du tout sûr. Bamtz désirait que Davidson vînt relâcher à Mirrah de temps en temps, plus ou moins régulièrement. Il voyait là une possibilité de faire des affaires de rotin, s’il pouvait compter sur un bateau pour charger ses marchandises.

« J’ai quelques dollars pour commencer. Les gens sont très faciles.

« Il était arrivé là, à cet endroit, où on ne le connaissait pas, dans une « prau » indigène ; et, avec ses manières calmes et la sorte de boniment qu’il savait débiter aux indigènes il avait su se mettre dans les bonnes grâces du chef.