laquelle nous le taquinions toujours. Il conduisait son bateau tout seul, avec seulement le serang Malais comme officier de pont. Ce qu’il avait à son bord se rapprochant le plus d’un blanc, c’était le mécanicien, un mulâtre Portugais, maigre comme une latte et tout à fait novice. Somme toute, vous voyez Davidson conduisait ce navire-là tout seul. Naturellement cela se savait dans le port. Si je vous dis cela, c’est que le fait à son importance dans les faits que je vais vous raconter.
Son bateau, étant très petit, à faible tirant d’eau, pouvait aller dans les criques, dans les baies, à travers les récifs et les bancs, ramasser du fret là où aucun autre bateau, sauf une embarcation indigène, aurait osé se risquer. Cela rapportait souvent assez bien. Davidson passait pour connaître des endroits qu’aucun autre n’aurait pu dénicher et dont presque personne n’avait entendu parler. Dès qu’on eut rappelé les vieux dollars, le Chinois de Davidson pensa que la Sissie serait bien pour aller les recueillir chez les petits trafiquants, dans les endroits les moins fréquentés de l’Archipel. C’est une bonne affaire ; on arrime ces caisses de dollars, à l’arrière, dans le lazaret et vous avez là un bon fret qui ne donne pas grand mal et ne prend pas grande place.
Davidson fut aussi d’avis que c’était une bonne idée ; ils firent ensemble une liste d’escales pour le prochain voyage. Alors Davidson, qui avait naturellement dans la tête la carte de ses tournées, fit remarquer qu’à son retour il pourrait bien toucher une certaine concession au bord d’une simple crique où un pauvre diable d’Européen vivait dans un village indigène. Davidson laissa entendre à son Chinois que l’homme aurait certainement du rotin à charger.
— « Peut-être assez pour remplir la cale d’avant, dit Davidson. Cela vaudrait mieux que de ramener le bateau sur lest. Un jour de plus ou de moins, cela n’a pas grande importance. »
C’était tout à fait bien dit, et l’armateur chinois ne put qu’approuver ; cela ne l’eut pas été, que c’aurait été exactement la même chose. Davidson faisait ce qu’il voulait. C’était un homme qui ne pouvait pas se tromper. Pourtant il n’y avait pas là seulement une raison commerciale. Il y avait là-dedans de la bonté davidsonnienne ; car il faut que vous sachiez que l’homme n’aurait pas pu continuer à vivre paisiblement sur cette crique, si Davidson n’avait eu la complaisance d’y venir de temps à autre. Et le Chinois de Davidson savait à quoi s’en tenir, lui aussi. Il sourit simplement de son digne et doux sourire, et dit : « C’est parfait, capitaine, faites comme vous voudrez. »