Page:Conrad - En marge des marées.djvu/135

Cette page a été validée par deux contributeurs.

chassieux, leurs infâmes griffes tremblottantes… Cela avait dû se passer dans cette chambre même, car Tom n’avait pas été tué dehors et apporté là ensuite : Byrne en était certain. Pourtant ce n’était pas ces deux vieilles du diable qui avaient pu le tuer, même en le prenant à l’improviste. D’autant que Tom avait dû être constamment sur ses gardes, car c’était un homme d’une extrême prudence, surtout quand il était chargé d’une mission… Comment l’avait-on tué ? Qui avait pu le faire ? Comment ?

Byrne se releva, saisit la lampe et se pencha rapidement au-dessus du corps. La lumière ne révéla aucune tache sur les vêtements, pas de trace, ni de souillure de sang, nulle part. Les mains de Byrne se mirent à trembler au point qu’il lui fallut poser la lampe à terre et détourner les yeux pour pouvoir vaincre son trouble.

Il se mit ensuite à examiner ce froid, paisible et rigide cadavre, cherchant la marque d’un coup de couteau, la blessure d’une arme à feu, la trace d’un coup mortel. Il tâta tout autour du crâne, anxieusement. Il était intact. Il glissa la main sous la nuque ; elle n’était pas brisée. Les yeux agrandis par l’angoisse, il examina de plus près, sous le menton, et ne vit aucune marque de strangulation sous la gorge.

Il n’y avait de trace nulle part. Il était seulement mort.

Irrésistiblement, Byrne s’éloigna du corps comme si le mystère de cette incompréhensible mort avait changé sa pitié en effroi et en suspicion. La lampe, placée sur le plancher, près du rigide et immobile visage du marin le montrait fixant désespérément le plafond. Dans le cercle de la lumière, Byrne vit à la poussière qui par endroits couvrait le plancher, qu’il n’y avait pas eu de lutte dans cette chambre. « Il est mort dehors », pensa-t-il. Oui, dehors, dans cet étroit corridor où l’on avait à peine la place de se retourner, la mort mystérieuse était venue prendre son pauvre Tom. L’impulsion qu’il avait eue de saisir son pistolet et de s’élancer hors de la chambre, abandonna Byrne tout d’un coup, car Tom aussi était armé, avec des armes précisément aussi impuissantes que celles qu’il possédait : des pistolets, un coutelas. Et Tom était mort d’une mort sans nom, par des moyens incompréhensibles.

Il vint à Byrne une nouvelle idée. Cet étranger qui frappait à la porte et qui s’était enfui si rapidement à son approche était venu enlever le corps. Ah ! C’était là le guide que la sorcière décharnée lui avait promis Pour lui montrer par quel chemin le plus court rejoindre son homme. Promesse, il le voyait maintenant, pleine d’un sens atroce. Celui qui avait