Page:Conrad - En marge des marées.djvu/132

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nervosité l’alarmait. Il se crut transporté très loin du genre humain.

Il examina la chambre. Elle n’était pas très haute de plafond ; juste assez pour contenir le lit que surmontait un énorme dais en forme de baldaquin d’où tombaient, au pied et à la tête, de lourds rideaux ; un lit assurément digne d’un archevêque. Il y avait une table massive toute sculptée aux angles ; quelques fauteuils d’un poids énorme, qui avaient l’air des vestiges du palais d’un grand seigneur ; une armoire à deux battants, large et peu profonde, était placée contre le mur. Il voulut l’ouvrir ; elle était fermée à clef. Un soupçon lui vint ; il prit la lampe pour se livrer à un examen plus minutieux. Non : ce n’était pas une porte dérobée. Ce meuble lourd était éloigné de plus d’un pouce du mur auquel il s’adossait. Il examina les verrous de la porte de la chambre. Non, personne ne pourrait le surprendre traîtreusement pendant son sommeil. Mais allait-il pouvoir dormir ? Il se le demanda avec angoisse. Si seulement Tom était là, le brave marin qui avait combattu à ses côtés dans une ou deux affaires difficiles et lui avait toujours prêché la nécessité de prendre garde à lui. « Ce n’est pas malin, avait-il coutume de dire, de se faire tuer dans une bataille. N’importe quel fou peut en faire autant. Notre véritable affaire c’est de combattre les Français, et de vivre pour les combattre encore un autre jour. » Byrne eut du mal à ne pas se mettre à épier le silence. Il avait en quelque sorte la conviction que rien ne le viendrait rompre, si ce n’est le son obsédant de la voix de Tom. Il l’avait déjà entendu deux fois. Bizarre. Et, somme toute, ce n’avait rien de surprenant, se dit-il en raisonnant, puisqu’il avait pensé à cet homme pendant plus de trente heures, continuellement et qui plus est avec incertitude. Son inquiétude au sujet de Tom n’avait, en effet, jamais pris une forme définie : « Disparaître était le seul mot qui se rapportait à la notion du danger que pouvait courir Tom. C’était tout à la fois vague et terrible : « Disparaître ». Qu’est-ce que cela signifiait ?

Byrne frissonna ; il se dit qu’il devait avoir un peu de fièvre. Tom n′avait pas disparu. Byrne venait d’entendre parler de lui. De nouveau le jeune homme entendit son sang battre dans ses oreilles. Il s’assit, immobile, s’attendant à chaque instant à entendre parmi les pulsations de son sang le son de la voix de Tom. Il attendit, tendant l’oreille : rien ne vint. Tout à coup il eut cette pensée : « Il n’a pas disparu, mais il ne peut pas se faire entendre ».

Il se leva brusquement. Combien c’était absurde ! Et déposant son pistolet et son coutelas sur la table, il enleva ses bottes, et se sentant