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« M. Byrne, ouvrez l’œil ». La voix de Tom. Il se sentit frémir ; les illusions de l’ouïe sont, de toutes, les plus saisissantes.

Il lui sembla impossible que Tom ne fut pas là. Il eut de nouveau un léger frisson, comme si un furtif courant d’air avait pénétré ses habits et lui avait passé le long du corps même. D’un effort il chassa cette impression.

La fille monta l’escalier devant lui, portant une lampe de fer dont la maigre flamme dégageait un mince filet de fumée. Ses bas blancs, sales, étaient pleins de trous.

De la même tranquillité résolue avec laquelle il avait fermé la porte en bas. Byrne s’en fut ouvrir l’une après l’autre toutes les portes du corridor. Toutes les chambres étaient vides, à l’exception d’une ou deux dans lesquelles on avait entassé des vieilleries. Et la fille, comprenant son intention, s’arrêta chaque fois, levant la lumière fumeuse à chaque porte, patiemment. Elle l’observait cependant avec une attention soutenue ; la dernière porte, elle l’ouvrit elle-même.

— « Vous dormirez ici, señor, murmura-t-elle d’une voix, douce comme un souffle d’enfant, tout en lui tendant la lampe. »

— « Buenos noches, señorita, lui dit-il poliment en la lui prenant des mains.

On ne l’entendit pas rendre ce bonsoir, bien que ses lèvres remuassent légèrement, cependant que son regard sombre comme une nuit sans étoile, ne trembla pas une minute devant le sien. Il entra dans la chambre, et quand il se retourna pour en fermer la porte, elle était encore là, immobile et troublante, avec sa bouche sensuelle, ses yeux obliques, et l’expression de sensualité féroce et aux aguets d’un chat déconcerté. Il eut un moment d’hésitation, et dans la maison muette, il entendit de nouveau le sang qui battait pesamment à ses oreilles, pendant qu’une fois encore il lui sembla entendre la voix de Tom, instante, quelque part, tout près, et plus terrifiante encore, cette fois, parce qu’il n’en pouvait distinguer les mots.

À la fin il claqua la porte au nez de la fille, la laissant dans l’obscurité ; il la rouvrit presque aussitôt. Plus personne. Elle s’était évanouie sans le moindre bruit. Il referma la porte rapidement et la verrouilla de deux lourds verrous.

Une violente inquiétude se mit soudain à l’envahir. Pourquoi ces sorcières s’étaient-elles querellées à propos de la chambre où il devait dormir ? Que signifiait le long regard de cette fille qui semblait vouloir imprimer pour toujours son image dans son esprit ? Sa propre