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pas bien. Un ciel sombre et désolé s’étendait, en effet, au-dessus de leurs têtes quand ils se séparèrent ; des buissons sauvages et des champs pierreux les entouraient lugubrement.

« Dans quatre jours », furent les derniers mots de Byrne, « le navire s’approchera et on enverra un canot, si le temps le permet. Sinon, arrangez-vous pour le mieux à terre, en attendant qu’on vienne vous chercher.

— « Tout va bien, monsieur », répondit Tom, et il s’éloigna à grandes enjambées. Burne le vit s’engager dans un étroit sentier. Avec son épaisse vareuse, une paire de pistolets à la ceinture, un coutelas au côté, et un bon gourdin en main, il faisait vraiment bonne figure et était de taille à se garder tout seul. Il se retourna pour faire un signe de la main, montrant une fois de plus à Byrne sa brave figure basannée aux épais favoris. Le garçon à la culotte de peau de chèvre avait l’air d’un faune ou d’un jeune satyre, courant en avant, s’arrêtant pour l’attendre, et repartant d’un bond. Tous deux disparurent.

Byrne revint sur ses pas. Le hameau s’abritait dans un repli de terrain et l’endroit semblait le lieu le plus isolé de la terre. On eût dit qu’une malédiction s’était apesantie sur sa stérilité désolante et quasi déserte.

Il n’avait pas fait cent pas que, de derrière un buisson, surgit le minuscule Espagnol emmitouflé. Byrne s’arrêta court.

D’une petite main pointant hors du manteau, l’autre fit un geste mystérieux. Il avait son chapeau davantage sur le coin de l’oreille. « Señor, dit-il sans autre préliminaire. Attention. Il est un fait certain, c’est que Benardino le borgne, mon beau-frère, a en ce moment un mulet dans son écurie. Et pourquoi, lui qui n’est pas malin, a-t-il un mulet ? Parce que c’est un filou ; un homme sans scrupule. J’ai dû lui abandonner le « macho » pour m’assurer un toit où dormir, et une bouchée d’« olla » pour retenir mon âme dans mon pauvre petit corps. Mais, señor, il contient un cœur autrement plus grand que la misérable chose qui bat dans la poitrine de cette brute qui est mon parent et dont j’ai honte, bien que je me sois opposé à ce mariage de toutes mes forces. Ah, la pauvre femme égarée a assez souffert. Elle a fait son purgatoire sur cette terre. Que Dieu aie son âme. »

Byrne dit qu’il fut si surpris de la soudaine apparition de cet être à apparence de farfadet, et de l’amertume sardonique répandue dans son discours, qu’il ne put démêler le point capital de ce qui semblait être une histoire de famille révélée là sans rime ni raison. Ce lui fut d’abord