Page:Conrad - En marge des marées.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.
NOTE DE L’AUTEUR

en cette affaire. Elle m’a fait défaut ; je ressemble à Geoffrey Renouard en ce que je ne puis, une fois engagé dans une aventure, supporter l’idée d’y renoncer. Le moment était venu pour ces deux êtres de se découvrir l’un à l’autre. Ils devaient le faire. Rendre le moment décisif d’un sentiment avec les seuls termes du langage humain est vraiment une impossible tâche. Les mots écrits n’en constituent qu’une sorte de traduction. Et, si cette traduction, par manque d’habileté ou par un extrême désir de bien faire, en arrive à être trop littérale, les personnages en proie au travail de la passion quelle qu’elle soit, au lieu de se révéler eux-mêmes, ce qui serait de l’art, en arrivent à se trahir, ce qui n’est ni de l’art ni de la vie. Pas même de la vérité ; en tout cas pas toute la vérité, car c’est la vérité privée de toutes ces réserves, de toutes ces distinctions nécessaires et sympathiques qui lui donnent sa véritable forme, ses justes proportions, son semblant de rapport humain.

Oui, la tâche qui consiste à traduire les passions avec des paroles, on peut vraiment déclarer qu’elle est « trop difficile ». Mon impénitence habituelle me rend néanmoins heureux d’avoir tenté ce conte avec tous ses dessous, toutes ses complications, y compris la scène auprès du rocher gris qui couronne la hauteur de Malata. Toutefois je ne suis pas satisfait du résultat d’une façon assez excessive pour ne pas excuser un patient lecteur qui s’en montrerait déçu.

Je ne me suis point réservé de place pour parler des trois autres contes ; car je ne crois pas qu’ils réclament de commentaires détaillés. Chacun d’eux a une couleur particulière, et j’ai essayé délibérément de donner à chacun d’eux un ton spécial et une différente construction de phrases. L’on m’a demandé dans un compte rendu relatif à  L’Auberge des deux Sorcières, si j’avais jamais rencontré un conte intitulé A very strange bed, qui fut publié dans Household Words, en 1852 ou 53. Je n’ai jamais vu un seul numéro de Household Words de cette période. Un lit de ce genre fut découvert dans une auberge, sur la route de Rome à Naples, vers la fin du XVIIIe siècle. Où j’en ai trouvé l’indication, je ne saurais le dire à présent, je suis certain toutefois que ce n’est pas un conte. Ce lit est le seul fait que contienne L’Auberge des deux Sorcières . Les deux autres contes en renferment de plus nombreux, suggérés par mon expérience personnelle.

1920.J. C.