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était confié aux soins d’un matelot de confiance, qui lui tendait son premier hamac et devenait souvent par la suite une sorte d’ami humble et dévoué pour le jeune officier. Notre narrateur en passant sur la corvette avait retrouvé cet homme à son bord après des années de séparation. Il y a quelque chose de touchant à le voir se complaire dans le souvenir de cette rencontre avec le mentor professionnel de son adolescence.

On voit ensuite qu’aucun Espagnol ne se chargeant de ce rôle, notre brave marin à la cadenette unique, et dont tous appréciaient hautement le courage et la fermeté fut désigné pour remplir une de ces missions à l’intérieur, dont nous avons parlé précédemment. Les préparatifs ne furent pas longs. Par un sombre matin d’automne, la corvette cingla vers une crique peu profonde où l’on pouvait atterrir à une grève en fer à cheval. On descendit un canot qui emmena Tom Corbin (Cuba Tom) perché à l’avant, et notre jeune homme (M. Edgar Burne était le nom qu’il portait en ce bas-monde, qui ne le connaît plus), assis à l’arrière.

Quelques habitants d’un hameau, dont les maisons de pierre grise s’apercevaient à environ cent mètres au-dessus d’un ravin profond, étaient descendus sur le rivage et surveillaient l’approche de la barque. Les deux Anglais sautèrent sur la grève. Stupidité ou étonnement, les paysans ne leur firent aucun accueil, et gardaient un parfait silence.

Mr Byrne avait tenu à voir Tom Corbin prendre la bonne route. Il considéra autour de lui ces figures hébétées.

« Il n’y a pas grand’chose à en tirer », dit-il. Montons jusqu’au village. Il doit y avoir, pour sûr, une auberge où nous trouverons quelqu’un de plus capable de parler et de nous fournir des renseignements.

— « Ma foi, Votre Honneur, dit Tom en suivant le pas de son officier ; un bout de conversation sur les courses et les distances ne me fait pas peur ; j’ai traversé Cuba dans sa plus grande largeur avec le seul secours de ma langue et pourtant je savais moins l’espagnol que je n’en sais maintenant. Comme ils disaient, j’en savais « quatre mots et pas un de plus » au temps où j’ai été laissé à terre par la frégate la Blanche.

Il faisait peu de cas de ce qu’il devait accomplir, une simple marche d’une journée dans les montagnes. Il est vrai qu’il y en avait pour une bonne journée avant d’atteindre le sentier de montagne, mais ce n’était rien pour un homme qui avait traversé Cuba sur ses deux jambes, et en ne sachant que quatre mots de la langue pour commencer.

L’officier et le marin marchaient maintenant sur une de ces litières