Page:Conquete de Constantinople de Villehardouin - Wailly.djvu/17

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ix
PRÉFACE.


ne recueillaient que d’injustes dédains : on n’en parle aujourd’hui qu’avec respect ; seulement on se contente trop souvent de les admirer sur parole. Je demande qu’on fasse un effort en faveur du plus ancien monument de la prose historique, et du récit le plus populaire qui ait propagé dans la chrétienté la gloire du nom français. L’immortelle histoire de saint Louis restait ignorée au fond du château de Joinville et dans la librairie des rois de France, alors que le livre de Ville-Hardouin avait fait le tour de l’Europe, et ne cessait d’y exciter l’admiration et la curiosité. Il ne faut pas que les temps modernes, après avoir fait la réputation de Joinville, laissent tomber dans l’oubli celle de Ville-Hardouin.

Reportons-nous aux premières années du treizième siècle, alors que tous les échos de la renommée redisaient la fortune merveilleuse d’un comte de Flandre, qui venait de ceindre la couronne impériale de Constantin, et nous pourrons comprendre quelle fut aussi dès sa première apparition la fortune du livre qui racontait cette grande aventure. On devine avec quelle impatience il était attendu, et avec quelle rapidité il en fallut multiplier les copies. Que si on examine aujourd’hui les manuscrits qui nous l’ont conservé, on y trouve sans peine, dans les altérations de tous genres dont ils sont remplis, la preuve que cette vogue dura longtemps, et qu’elle entraîna après soi plus d’un inconvénient. Lacunes et fautes grossières qui interrompent et troublent le sens, retranchements, additions et synonymes qui énervent et dénaturent la langue, tout concourt à prouver que jamais texte n’eut à subir de plus graves atteintes. Il semble même que pour expliquer tant d’altérations il faille supposer que ce livre fut récité en public comme nos vieilles chansons de geste, et que, livré à la merci des jongleurs, il eut à souffrir encore plus de leur licence que de la négligence des copistes.

On peut dire qu’une édition exacte de Ville-Hardouin serait impossible si, par un hasard heureux, nous ne possédions pas la copie d’un exemplaire authentique, qui dormit pendant longtemps,


b