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CONQUÊTE.

ou s'il le change, ce n'eſt que pour l'aggraver. Toute la différence qu'il y a, c'eſt que les grands voleurs puniſent les petits pour tenir les gens dans l'obéiſſance & que ces grands voleurs ſont récompenſés de lauriers & de triomphes parce qu'ils ſont trop puiſſans en ce monde pour les foibles mains de la Juftice, & qu'ils ſont maîtres du pouvoir néceſſaire pour punir les coupables. Quel remede puis-je employer contre un voleur qui aura percé ma maiſon ? Appellerai-je aux loix, pour avoir juftice ? Mais peut-être qu'on ne rend point juſtice, ou que je ſuis impotent & incapable de marcher. Si Dieu m'a privé de tout moyen de chercher du remède, il ne me reſte que le parti de la patience. Mais mon fils, quand il ſera en état de ſe faire faire raiſon, pourra avoir recours aux loix, lui, ou ſon fils peut relever appel, juſqu'à ce qu'il ait recouvré ſon droit. Mais ceux qui ont été conquis, ou leurs enfans, n'ont nul juge, ni nul arbitre ſur la terre, auquel ils puiſſent appeller. Alors ils doivent appeller au Ciel, comme fit Jephté, & interjetter appel juſques à ce qu'ils aient recouvré le droit de leurs ancêtres, qui étoit d'avoir un pouvoir légiſlatif établi ſur eux, aux déciſions duquel ils acquieſçoient, quand le plus grand nombre des perſonnes qui étoient revêtues de ce pouvoir, les avoit formées. Si l'on objecte que cela eſt capable de cauſer des troubles perpétuels je réponds, que cela n'en cauſera pas plus que peut faire la juſtice lorſqu'elle tend les bras à tous ceux qui veulent avoir recours à elle. Celui qui trouble ſon voiſin, ſans fujet, eſt puni à cauſe de cela par la juſtice de la cour devant laquelle on a comparu. Et quant à celui qui appelle au ciel il doit être bien aſſuré qu'il a droit, mais un droit tel qu'il peut être hardiment porté à un tribunal qui ne ſauroit être trompé & qui certainement rendra à chacun ſelon le mal qu'il aura fait à ſes concitoyens, c'eſt-à-dire à quelque partie du genre-humain. Tout ceci fait voir clairement qu'un homme qui fait des Conquêtes, dans une injuſte guerre, ne peut avoir droit ſur ce qu'il a conquis, & que les perſonnes qui ſont tombées ſous ſa domination, ne lui doivent aucune ſoumiſſion ni aucune obéiſſance.

Mais ſuppoſons que la victoire ſavoriſe la cauſe juſte & conſidérons un conquérant dans une juſte guerre, pour voir quel pouvoir il acquiert, & ſur qui.

Premièrement il eſt viſible qu'il n'acquiert aucun pouvoir ſur ceux qui ont été les compagnons de ſes Conquêtes. Ceux qui ont combattu pour lui ne doivent point ſouffrir parce qu'il a remporté des victoires ils ſont ſans doute auſſi libres, qu'ils étoient auparavant. Ils ſervent d'ordinaire fous cette condition qu'ils auront part au butin & aux autres avantages dont les victoires ſont ſuivies & un peuple victorieux ne devient point eſclave par des Conquêtes, & n'eſt pas couvert de lauriers, pour faire voir qu'il eſt deſtiné au ſacrifice, pour le jour de triomphe de ſon Général. Ceux qui croyent que l'épée établit des Monarchies abſolues, élevent infiniment les