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CONQUÊTE.

avoir accordé & ſtipulé ce qu'on vient de voir, peut, par ſon droit de Conquête, prendre toute la terre, ou une partie, aux héritiers de l'un, ou à l'autre durant ſa vie, & pendant qu'il paye exactement la rente qui a été conſtituée ? Ou, peut-il prendre à l'un ou à l'autre, ſelon ſon bon plaiſir, les biens ou l'argent, qu'il aura acquis ou gagné ſur les arpens de terre mentionnés? S'il le peut ; alors il faut que tous les contrats, que tous les traités, que toutes les conventions ceſſent dans le monde, comme des choſes vaines & frivoles ; tout ce que les grands accorderont, ne ſera qu'une chimere, les promeſſes de ceux qui ont la ſuprême puiſſance, ne ſeront que moquerie & qu'illuſion. Et peut-il y avoir rien de plus ridicule que de dire ſolemnellement & de la maniere du monde la plus propre à donner de la confiance & à aſſurer une poſſeffion "Je vous donne cela" pour vous & pour les vôtres, à perpétuité, & que cependant il faille entendre, que celui qui parle de la ſorte, a droit de reprendre le lendemain, s'il lui plait, ce qu'il donne ?

Je ne veux point examiner à préſent la queſtion ſi les Princes ſont exempts d'obſerver les loix de leur pays mais je ſuis ſur qu'ils font obligés, & même bien étroitement, d'obſerver les loix de Dieu & de la nature. Nul pouvoir ne ſauroit jamais exempter de l'obſervation de ces loix éternelles. L'obligation qu'elles impoſent, eſt ſi grande & ſi forte que le Tout-Puiſſant lui-méme ne peut en diſpenfer. Les accords, les traités les alliances, les promeſſes, les ſermens, ſont des liens indiſſolubles pour le Très-Haut. Ne ſeront-ils donc pas auſſi, (malgré tout ce que diſent les flatteurs aux Princes du monde,) des liens indiſſolubles & des choſes d'une obligation indiſpenſable pour des potentats qui joints tous enſemble avec tous leurs peuples, ne ſont, en comparaifon du grand Dieu, que comme une goutte qui tombe d'un ſceau, ou comme la pouſſiere d'une balance ?

Donc, pour revenir aux Conquêtes, un Conquérant, ſi ſa cauſe eſt juſte, a un droit deſpotique ſur la perſonne de chacun de ceux qui ſont entrés en guerre contre lui ou ont concouru à la guerre qu'on lui a faite & peut par le travail & les biens des vaincus réparer le dommage qu'il a reçu, & les frais qu'il a faits, en ſorte pourtant qu'il ne nuiſe point aux droits de perſonne. Pour ce qui regarde le reſte des gens, ſavoir ceux qui n'ont point conſenti & concouru à la guerre, & même les enfans des pri- ſonniers, & pour ce qui regarde auſſi les poſſeſſions des uns & des autres, il n'a nul droit ſur ces perſonnes, ni ſur ces biens; & par conſéquent il ne ſauroit, par voie & en vertu de ſa Conquête, avoir aucun droit de domination ſur ces gens-là, ni le communiquer à ſa poſtérîté. Que s'il uſe de domination ſur eux, & prend leurs biens, tout ce qui leur appartient, ou ſeulement quelque partie il doit être conſidéré comme un agreſſeur & comme un homme qui s'eſt mis en état de guerre avec eux, & n'a pas un droit meilleur & mieux fondé, que celui que Hingar, & Hubba, Danois,