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CONQUÊTE.

eſt plus grande, que n’eſt celle qu’il y a entre cinq, & cinq mille. Après tout, les dommages que les hommes reçoivent les uns des autres dans l’état de nature (tous les Princes & tous les gouvernemens ſont dans l’état de nature, les uns à l’égard des autres) ne donnent jamais à un conquérant le droit de dépoſſéder la poſtérité de ceux qu’il aura ſubjugués, & de la priver de ta jouiſſance de ce qui devoit être ſon héritage & l’héritage de tous ſes deſcendans, juſqu’à la derniere génération. Les conquérans, à la vérité, ſont fort diſpofés à croire qu’ils ſont maîtres légitimes & perpétuels de tout & telle eſt la condition de ceux qui ſont ſubjugués, qu’il ne leur eſt pas permis de ſoutenir & de défendre leur droit. Il ne laiſſe pourtant pas d’être certain, qu’en ces rencontres les conquérans n’ont d’autre droit que celui qu’a le plus fort ſur le plus foible celui qui eſt le plus fort eſt cenſé avoir droit de ſe ſaiſir de tout ce qu’il lui plaît.

Donc, un conquérant, même dans une juſte guerre, n’a, en vertu de ſes Conquêtes, aucun droit de domination ſur ceux qui ſe ſont joints à lui & ont été les compagnons de ſes combats, de ſes victoires, ni ſur les gens d’un pays ſubjugué, qui ne ſe ſont pas oppoſés à lui, ni ſur la poſtérité de ceux même qui ſe ſont oppoſés à lui & lui ont fait directement la guerre. Ils doivent tous être exempts de toute ſorte de ſujettion, à l’égard de ce conquérant & ſi leur gouvernement précédent eſt diſſout ils ſont en droit & doivent avoir la liberté d’en former & d’en ériger un autre, comme ils jugeront à propos.

A la vérité les conquérans obligent, d’ordinaire par force & l’épée à la main, ceux qu’ils ont ſubjugués, à ſubir les conditions qu’il leur plait impoſer, & à le ſoumettre au gouvernement qu’ils veulent établir. Mais la queftion eſt de ſavoir, quel droit ils ont d’en uſer de la ſorte. Si l’on dit, que les gens ſubjugués ſe ſoumettent, de leur propre contentement ; alors on reconnoît que leur conſentement eſt néceſſaire afin qu’un conquérant ait droit de les gouverner. Il ne reſte qu’à conſidérer ſi des promeſſes extorquées, ſi des promeſſes arrachées de force & ſans droit, peuvent être regardées comme un conſentement & juſqu’où elles obligent. Je dis ſans crainte, qu’elles n’obligent en aucune façon parce que nous conſervons toujours notre droit ſur ce qu’on nous arrache de force, & que ceux qui extorquent ainſi quelque choſe ſont obligés de la reſtituer inceſſamment. Si un homme prend par force mon cheval il eſt d’abord obligé de me le rendre & j’ai toujours le droit de le reprendre, ſi je puis. Par la même raiſon, celui qui m’arrache de force une promeſſe, eſt tenu de me la rendre inceſſamment, c’eſt-à-dire, de m’en tenir quitte, ou je puis la reprendre moi-même & la rétracter ; c’eſt-à-dire qu’il m’eſt permis de la tenir ou de ne la pas tenir. En effet, les loix de la nature impoſant des obligations, ſeulement par leurs réglemens & par les choſes quelles preſcrivent, ne peuvent m’obliger à rien, par la violation de leurs propres réglemens telle qu’eſt l’action de ceux qui m’extorquent & m’arrachent de force quel-