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CONQUÊTE.

la guerre, afin d'envahir & d'emporter tout mais cela ce change ni ne diminue point le droit. Car un conquérant n'ayant de droit & de pouvoir ſur ceux qu'il a ſubjugués qu'en tant qu'ils ont employé la force contre lui pour faire ou ſoutenir des injuſtices ; il peut avoir un pouvoir légitime ſur ceux qui ont concouru & conſenti à ces injuſtices & à cette violence mais tout le reſte eſt innocent & il n'a pas plus de droit ſur un peuple conquis, qui ne lui a fàit nul tort, & qui par cette raiſon n'a point perdu ſon droit à la vie qu'il n'en a ſur aucun autre peuple, qui ſans lui faire tort & ſans le provoquer, aura vécu honnêtement avec lui.

En troiſieme lieu le pouvoir qu'un conquérant acquiert ſur ceux qu'il ſubjugue, dans une juſte guerre, eſt entièrement deſpotique. Par ce pouvoir il a droit de diſpoſer abſolument, & comme il lui plait de la vie de ceux qui, s'étant mis dans l'état de guerre, ont perdu le droit propre qu'ils avoient ſur leurs perſonnes mais il n'a pas un ſemblable droit à 1 égard de leurs poſſèſſions. Je ne doute point que d'abord cette doctrine ne paroiſſe étrange elle eſt trop oppoſée à la pratique ordinaire pour n'être pas regardée comme un paradoxe. Quand on parle des pays qui ſont tom- bés ſous la domination d'un Prince, on n'a guere accoûtumé d'en parler autrement que comme de pays conquis. Il ſemble que les Conquêtes ſeules portent avec elles & conferent infailliblement le droit de poſſeſſion que ce que pratique le plus fort & le plus puiſſant doit être la regle du droit & que, parce qu'une partie de la condition triſte des gens ſubjugués conſiſte à ne conteſter point à leurs vainqueurs leurs prétentions, & à ſubir les conditions qu'ils preſcrivent, l'épée à la main, ces prétentions & ces conditions deviennent par-là juftes & bien-fondées.

Quand un homme emploie la force contre un autre il ſe met par-là en état de guerre avec lui. Or, ſoit qu'il commence l'injure par une force ouverte, ou que l'ayant faite ſourdement & par fraude, il refuſe de la réparer & la ſoutienne par la force, c'eſt la même choſe, & l'un & l'autre eſt guerre. En effet, qu'un homme enfonce la porte de ma maifon tout ouvertement, & me jette dehors avec violence ou qu'après s'y être gliſſé ſans bruit, il la garde, & m'empêche, par force, d'y entrer; ce n'eſt qu'une ſeule & même choſe. Au reſte, nous ſuppoſons ici, que ceux dont non» parlons, ſe trouvent dans cette ſorte d'état où l'on n'a point de commun Juge ſur la terre, auquel on puiſſe appeller. C'eſt donc l'injuſte uſage de la violence, qui met un homme dans l'état de guerre avec un autre ; & par-là, celui qui en eſt coupable perd le droit qu'il avoit à la vie car abandonnant la raiſon qui eſt la regle établie pour terminer les différends & décider des droits de chacun, & employant la force & la violence, c'eſt-à-dire, la voie des bêtes, il mérite d'être détruit par celui qu'il avoit deſſein de détruire, & d'être regardé & traité comme une bête féroce, qui ne cherche qu'à dévorer & à engloutir.

Mais parce que les fautes d'un pere ne ſont pas les fautes de ſes enfans