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Le sujet du discours et du tableau avoit été pris dans le xxive chapitre de la Genèse, qui rapporte qu’un des serviteurs d’Abraham, faisant un voyage pour chercher la fille qu’Isaac devoit épouser, et se trouvant pressé d’une soif extrême, rencontra Rébecca qui venoit de puiser de l’eau, et qui, d’une manière obligeante, en donna à ce voyageur et aux chameaux de sa suite, ce qui lui faisant connoître que Rébecca étoit la fille qu’il venoit chercher, il lui fit présent de deux pendants d’oreilles et de deux bracelets d’or.

Le discours de M. de Champaigne commençoit par l’éloge de M. Poussin, et marquoit avec justice que cet excellent peintre avoit été, dans son art, l’honneur de la France et l’admiration des étrangers. Il ajoutoit que le tableau de Rébecca avoit extrêmement contribué à lui acquérir une réputation si bien fondée. Il soutenoit ensuite que l’excellence de la peinture dépendoit moins des règles de l’art que d’un beau génie, mais que tout cela se rencontroit dans ce tableau, et il y remarqua la pratique de trois ou quatre règles générales et importantes.

Il établissoit, pour la première, celle de représenter l’action principale du sujet avec tant d’art, qu’elle soit distinguée sans peine des circonstances qui l’accompagnent ; il prouvoit que, dans le tableau de M. Poussin, l’œil s’attachoit d’abord aux principales figures de l’histoire, et par leurs attitudes, les démêloit aisément d’avec les moins nécessaires ; que le serviteur d’Abraham exprimoit le sujet par son action ; qu’en faisant ses présents à Rébecca, il témoigne être persuadé que c’est elle qu’il cherche, et qu’à jeter les yeux sur l’air modeste de Rébecca et sur l’apparente irrésolution où elle est daccepter les présents qu’on veut lui faire, on trouve en elle un caractère de pudeur et de générosité propre aux grandes âmes et surtout aux personnes de son sexe ; ce qui sert beaucoup à distinguer cette figure des autres moins importantes au sujet.

M. de Champaigne avoit donné pour seconde règle générale l’ordonnance par groupes, et montra qu’elle est pratiquée admirablement dans ce tableau, puisqu’on y voit plusieurs figures qui forment des compagnies ou bandes séparées, comme il arrive ordinairement dans les assemblées nombreuses, car