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Ce que l’on pourroit objecter est de savoir si le temps auquel Notre Seigneur fit le miracle de Capharnaüm est le même que M. Poussin a prétendu représenter. Mais on peut répondre à cela qu’il est bien difficile de dire au vrai à quelle heure Jésus-Christ fit ces deux actions. Car, bien que M. Bourdon ait comme assuré que ce fut le matin, néanmoins, après avoir bien concilié ce que les Évangélistes ont écrit de l’un et de l’autre miracle, on demeurera toujours dans l’incertitude de la véritable heure qu’il pouvoit être. Et l’on dira seulement que le peintre a choisi le matin comme la plus belle partie du jour.

Mais ce qui doit convaincre tout le monde que c’est ici la représentation du miracle que Jésus-Christ fit à Capharnaüm au sortir de la maison du prince de la synagogue, c’est qu’il est dit dans l’Écriture que, quand il alla pour ressusciter la fille de ce prince, il ne mena avec lui de tous ses disciples que Jean, Pierre et Jacques, et qu’au retour il donna la vue à deux aveugles. Ainsi, selon toutes les apparences, il n’avoit avec lui que ces mêmes apôtres qui sont ceux que M. Poussin a fort bien représentés : au lieu qu’au miracle de Jéricho il étoit accompagné de tous ses apôtres et suivi d’une multitude de peuple.

De sorte que, demeurant d’accord de toutes ces choses qu’on ne peut raisonnablement contester, il se trouvera que M. Poussin a traité son histoire dans toute la vraisemblance, et que bien loin de trouver quelque chose à reprendre dans son tableau, on sera contraint d’avouer que c’est un ouvrage très accompli, et qu’on ne peut assez admirer. Car, soit que l’on regarde la riche et magnifique situation de ce lieu, soit que l’on considère la belle et noble disposition des figures, soit qu’on se laisse attirer les yeux par la douceur et la vivacité des couleurs, soit que l’on s’attache à examiner les lumières si naturelles et si bien entendues, soit enfin qu’on se laisse emporter l’esprit par la force et par la grandeur des expressions, l’on voit que toutes les choses y sont dans un état très parfait, et qu’en considérant toutes les figures en particulier, on croit même comprendre ce qu’elles font et ce qu’elles pensent. On reconnoît par l’action du premier aveugle sa foi et la confiance qu’il a en celui qui le touche. Dans le second on aperçoit à son geste qu’il cherche la même grâce. Comme il est presque